L’histoire des Giustiniani de Gênes (Italie)

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 Traduit de l’Italien par PIERRE-EUGENE CARAMAN avec la collaboration de ELISA PETITTA
( basé sur l’étude d’ENRICO GIUSTINIANI publiè par "Le Cahier du Bosphoro" Les Edition "ISIS Presse" 2005)


"Dure la race des Giustiniani, nouvelle souveraineté de la Maona  libre,

dynastie populaire magnifique, de roi sans couronne,

qui parfument de mastic le blanc sillage ou la marquent d'une ceinture rouge,

lorsque dans l’île Andriolo Banca orne les temples, produit des poèmes, vénère Homère, élève des lauriers, affranchit les esclaves.

Bateaux d'Italie, voilà l'Égéen. Qui vient de Lesbos ? qui de Coo ?

Bateaux d'Italie, les Ombres chantent comme les sirènes."

Gabriele D'Annunzio - Chanson des Dardanelles

(Merope - Livre Quatrième des Laudes du ciel de la mer de la terre et des héros) 

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Les armes des Giustiniani de Chios (Palais Giustiniani – Bassano Romano)

     1. ORIGINE DE LA FAMILLE GIUSTINIANI DE GÊNES

2. HISTOIRE DE L'ILE DE CHIOS AVANT LES GIUSTINIANI : LA SUPRÉMATIE DES ZACCARIA

3.  LA NAISSANCE DE LA FAMILLE GIUSTINIANI

4.  L'HISTOIRE DES GIUSTINIANI DE CHIOS DAL 1363 AL 1566

5.  LA VIE ADMINISTRATIVE DES GIUSTINIANI A CHIOS

6.  MONNAIES A CHIOS PENDANT LA PRÉSENCE DES GIUSTINIANI

7.  LE COMMERCE DU MASTIC A CHIOS

8. LA DESCENDANCE DES GIUSTINIANI DE 1566 A NOS JOURS

9. QUELQUES REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET SOURCES CITEES

  1. ORIGINE DE LA FAMILLE GIUSTINIANI DE GÊNES

 Ce n’est qu’une légende qui fait descendre les deux maisons Giustiniani de Gênes et Venise des fils de Justinien, Marco et Angelo qui ont vécu vers 720 et ont été exilés par l'empereur Léon III de Constantinople afin de ne pas constituer une menace pour son faible régime. Une légende alimentée du fait que, surtout au Moyen Âge et à la Renaissance, il était d’usage que les familles patriciennes, en particulier celles de fortune récente, créditent leurs origines, en partant de l'assonance des noms, d’une généalogie qui finisse par se rattacher à des personnages illustres de l'histoire ancienne. Prétention généralement arbitraire, mais encore plus nécessaire pour les Giustiniani, d’origine génoise, arrivés à Rome au cours du XVI° siècle de Chio, qui auraient été regardés par l'aristocratie papiste comme des étrangers. La descendance de l'empereur d'Orient pouvait enraciner la famille dans la plus ancienne "gens" de Rome. Pour rendre plus visible une telle ascendance, le Prince Andrea choisit parmi les sculptures anciennes de la collection Giustiniani, un torse acéphale colossal de marbre grec qu’Arcangelo Gonnelli, spécialiste en restauration, reconstitua généreusement en 1638 selon le goût du temps, le transformant en Empereur Justinien, représenté dans la fleur de l’âge. Cette statue, récemment retrouvée, est encore visible dans le jardin de la Villa Giustiniani-Massimi à Laterano. Curieusement, alors comme aujourd'hui, les Giustiniani de Gênes et de Venise se sentiront d’une certaine façon du même sang, bien que Gênes et Venise au cours de l'histoire aient été plus ennemies qu'amies.

La présence de la famille Giustiniani, a été établie dans diverses parties de la Méditerranée avant la constitution de la Maona au XIV° siècle. D’anciennes traditions, sans aucun support historique, la feraient remonter à la « Gens Anicia » romaine.

Au II° siècle avant Jésus-Christ, les riches familles romaines nobles commencent à construire leurs somptueuses villas hors des limites de l’espace citadin, en s'établissant dans de grands domaines autonomes. Les villages se réduisirent et il en résulta un territoire toujours plus occupé par les grandes propriétés privées.

La Gens Anicia a ainsi pu tirer avantage d’avoir cherché refuge, au moment des invasions barbares, dans des territoires, comme les îles, restés à l’abri des invasions. Il est certain qu'à partir du IX-Xe siècle, le nom Giustiniani était connu dans toute la Méditerranée.

L’origine des Giustiniani de Gênes remonte au 14 novembre 1362 lorsque 12 notables génois fondèrent la Maona (la "nouvelle"), une société commerciale "anonyme" pour l'exploitation de possessions génoises dans le Dodécanèse, et adoptèrent tous le nom de Giustiniani en perdant le leur. L’origine n'est donc pas liée à une souche commune, mais au regroupement de plusieurs familles dans une sorte de société de personnes, comme si elles étaient nées d'un père commun, parce que leur terre est commune. Elles formèrent une "campagne" (du "Breve della Campagna" des "leges Genuenses" de 1157 : "Compagniam de pecunia non faciam cum aliquo habitante ultra Vultabium et Savignonem et Montem altum, neque ultra Varaginem").

La décision d'unir plusieurs familles dans un clan et de prendre le nom de la plus importante, qui disposait d'un lieu de réunion (palais ou demeure) n'était pas nouvelle à Gênes et anticipait la naissance des "alberghi" qui deviendraient par la suite la norme en matière d’association économique voire politique. Dans le cas particulier de la Maona Giustiniani, ce système permettait aussi de dépasser le problème de définition des parts (les « carature ») au capital pour lesquelles elle avait été constituée.

Sur l'étymologie de la Maona de Chio, il y a eu beaucoup de discussions, que nous pouvons aussi bien  résumer par ces mots de l’historien Génois Teofilo Ossian de Negri : la Maona fut "...une délégation formelle de fonctions étatiques à une association privée de commerçants et d’armateurs… "

La "Maona" Giustiniani est la première société "par actions" relatée dans l'histoire[1]. Le nom "Maona" est d'origine incertaine, on le suppose issu du génois "mobba" équivalent d "union", ou même du nom d'un bateau ou de l'arabe "maounach" traduisible par "société commerciale" ou "association pour l’effort commun" ou encore "assistance", "indemnité", parce que la première expédition de la Maona fut conçue en droit comme un "achat", comme si les armateurs avaient effectué un prêt à l'État garanti par de futures conquêtes plutôt que par des revenus fiscaux comme c’était alors la coutume. L'investiture devait être un dédommagement pour de l’argent non remboursé, un palliatif provisoire à la dette publique.

Le mot "Maona" pourrait même dériver du grec "désirer", "j'aspire" car pour une Société de commerce l'aspiration principale est vraiment celle du gain, ou de la corruption en génois du mot "Madonna", de l'enseigne votive que l’on trouve à l’extérieur du Palais Giustiniani de Gênes à côté de la rue dite "les testone des Giustiniani". (teston = monnaie), madone représentée avec les deux saints protecteurs de ce que l’on a appelé par la suite l’Albergo Giustiniani.

Le nom "Giustiniani", mais ceci n'est pas plus certain, dériverait par contre du premier siège de la Maona, dans le Palais Giustiniani de Gênes déjà possédé par une famille homonyme de Venise qui avait à cette époque de bons rapports commerciaux avec la république génoise. Palais qui trônait encore dans le quartier Giustiniani, orné des armoiries de la famille et de beaucoup de trophées gagnés pendant la guerre de Chioggia contre les mêmes Vénitiens.

Les Maone étaient de véritables seigneuries, avec beaucoup de troupes, de soldats, une certaine autonomie fiscale et leur politique était parfois même en contradiction avec celle de la république même qui les avait créées.

La structure de la Maona, en ayant des actions "nominatives", ne créait pas de problèmes liés à des ambitions "dynastiques". La participation anonyme permettait ensuite le transfert des parts sans difficultés particulières, chose qui se produisait fréquemment les premiers temps.

Avant cette "société", existait une précédente Maona (la "vieille") fondée le 26 février 1347, dans le même but : l'exploitation commerciale de l'île de Chio, qui prit en 1359 le nom de "Giustiniani ».

L'importance et la force de la famille sont attestées par le fait que même après avoir quitté Chio et s’être établis dans d’autres villes, ils étaient toujours considérés comme les Giustiniani de Gênes, même la Sacra Rota appelait encore le 14 juin 1839 le marquis Vincenzo Giustiniani : "Vicentius ex Nobilissima lanuensi familia Justinianorum dysnastarum olim Chij in mari Aegeo".

L'histoire des Giustiniani est à raccorder, aux origines, avec les colonies génoises de la mer Égée orientale qui appartiennent maintenant à la Grèce : les îles de Scio (Chio ou de Hios), Samos, Enussa (Inousses), Icaria (Ikaria), Kos, Lesbos (Lesvos), Santa Panagia et les deux établissements d’Asie Mineure, l’ancienne Phocée (Eskifoça) et la nouvelle Phocée (Yenifoça) qui appartiennent maintenant à la Turquie.

Sur ces îles, les Giustiniani ont exercé leur domination 220 ans environ durant, de 1347, année de la fondation de la Vieille Maona, à 1566, année de la conquête définitive de l'archipel par les Ottomans.

Dans ces anciennes possessions, on peut encore observer la géométrie des ruelles très semblables aux "carrugi" Génois, les tours de repérage le long de la côte et les restes des quelque 15 forteresses anciennes sur lesquelles fleurissent encore les armes des Giustiniani. Malheureusement bien peu de choses subsistent de nos jours des beaux palais ("Archonticà"), soit à cause du pillage des Turcs en 1566, soit à cause des effets dévastateurs d'un tremblement de terre qui se produisit dans les îles Grecques au début du XX° siècle[2].

Les Giustiniani ont été une des familles les plus en vue de la République de Gênes, six Doges ont porté leur nom. Nous nous rappelons encore des hommes de lettres parmi lesquels Andreolo Banca, auteur de l'histoire en vers latins de la guerre contre Venise en 1431, et son fils Angelo (1385-1456), Pier Giuseppe, de l'Académie des "Addormentati" (endormis), de Carlo Fabrizio évêque de Marianna en Corse et fondateur de l’"Academia dei vagabondi" (vagabonds), Serafino, moine olivétain, auteur de la tragédie "les Numitore" ; des historiens parmi lesquels Leonardo Garibaldo, latiniste et évêque de Lesbos mort en 1482, Agostino Banca, évêque de Nebbio, auteur des annales, Jacopo de Forneto à qui le roi Alfonso d'Aragon se rendit comme "souverain de Scio" (1435), de Girolamo Giustiniani (1544-1600), auteur d'une histoire de Chio, du latiniste Alexandre Giustiniani (né en 1515) et du botaniste Francesco Giustiniani. Ont été doges de Gênes : Francesco Domenico Garibaldo (1393), Andrea Longo (1539), Paolo Moneglia (1569), Giovanni Agostino Campi (1591), Alessandro Longo (1611), son fils Luca (1645), Giovanni Antonio Giustiniani (1713) et Brizio Giustiniani (1775). Ont été cardinaux : Vincenzo (1570), Benedetto (1585), Orazio (1645), Giacomo (1826) et Alessandro (1831). Enfin, on trouve une multitude de d’anciens sénateurs, gouverneurs en Corse et ailleurs, ambassadeurs, et professions libérales. Il en résulte aujourd’hui diverses branches répandues dans toute l’Italie, des nobles de Gênes, de Ferrare, de Livourne, de Rome, à Smyrne, à Florence, à Bari, à Caprarica de Lecce, à Savone, à Palerme et à Amatrice, etc…

 2. HISTOIRE DE L'ÎLE DE CHIOS AVANT LES GIUSTINIANI : SUPREMATIE  DES  ZACCARIA

 Vers le treizième siècle, Gênes est une solide puissance économique. Lors de la chute en 1204 de l'empire byzantin, dernier avatar de l'empire romain d'Orient, l'île de Chio fut réunie, avec les îles de Lesbos, de Samos et de Cos, à l'empire latin sous la juridiction duquel elles restèrent jusqu'en 1247, année où le Génois Giovanni Vitale les assujettit à sa couronne, bien qu’elles soient encore après cette date expressément indiquées comme appartenant encore à l'empire : dans le traité de Viterbo (27 mai 1267) où Baudoin II cède à Charles d'Anjou les droits sur la Grèce en se réservant la possession de ces îles, et dans l'investiture du Royaume de Roumanie à Filippo de Tarente (15 mai 1294).

La "suzeraineté" génoise fut ratifiée par le traité de Ninfeo du 10 Juillet 1261 par lequel l'empereur Michel Paléologue VIII concédait à Gênes la juridiction civile des Génois locaux et l’exploitation commerciale dans le "Royaume de Nicée", pour les récompenser de leur concours dans la reprise de Constantinople. Giovanni Vitale devient une sorte de "sindaco mercantile" (syndic commercial) de l'île.

Chio, la plus florissante des îles de l'archipel, était un centre important de production et de commerce du mastic (le "capo mastice" existe encore aujourd'hui au sud de l'île) et des marbres. Ses terres, en outre, sont fertiles et riches en vignobles.

Pour défendre les îles des Turcs, des Vénitiens et des pirates, l'empereur Andronic sollicita l'intervention sur l'île de Benedetto Zaccaria de Gênes, seigneur de Phocée, le port commercial célèbre pour l'alun, qui permet d’accoster sur le continent en face de l'île de Chio.

Benedetto est un homme d'armes et un diplomate. Ambassadeur de Gênes à la cour de Byzance depuis 1264, il était facilement entré dans les grâces de l'empereur Michel VIII, par la constance de son activité diplomatico-militaire antimusulmane. Il se comportait en vrai croisé en plus d’une occasion sans négliger son juste intérêt de marchand.

Avec la couronne de Castille, il a participé à la guerre victorieuse contre le roi du Maroc. Nous le retrouvons plusieurs fois à Phocée, et en Espagne aussi bien qu’à la cour de Paris où il est reçu par le roi de France.

En qualité d'amiral du roi Philippe "le Bel", il utilise habilement la technique du blocus naval pour nuire aux intérêts commerciaux des Anglais et des villes flamandes ennemies du roi de France.

En 1281, il figure parmi les valeureux capitaines de la guerre victorieuse contre Pise à la bataille décisive de la Meloria et au siège de Porto Pisano, dans la conception de laquelle ont été trouvées des influences des tactiques byzantines déjà décrites dans le "Taktikon" de Léon Le Sage. Victoires qui, à la fureur du peuple, furent attribuées au valeureux commandant plutôt qu’à la classe dirigeante génoise, qui préféra s'éloigner vers l'Orient avec des titres ronflants et peu de moyens plutôt que de se retrouver extrêmement populaire à Gênes.

Pour exploiter leur concession, les Zaccaria se servirent de sociétés souples basées sur la procuration, en tenant compte au-delà des capacités professionnelles aussi bien des liens de sang que de parenté acquise. Comme nous le retrouverons par la suite chez les Giustiniani, le clan est considéré comme un élément de stabilité et de sûreté dans une société perpétuellement divisée comme celle des Génois.

Les frères Benedetto et Manuele Zaccaria qui s’étaient échangé réciproquement des procurations appelèrent à contribuer à leur société leur autre frère Nicolino, leur cousin Tedisio et Paléologue, le fils de Benedetto, et parmi les proches parents alliés des Zaccaria : les Doria, les Cattaneo et les Volta.

Le lien entre Phocée et les autres provinces grecques était réduite à une étroite bande le long de la mer que les Zaccaria défendaient sur une centaine de kilomètres, "pas tellement par la fortification du lieu", écrit avec admiration le chroniqueur grec Pachimere, "que par la réputation de valeur des Italiens, prêts à oser n’importe quelle audace avec leur courage et leurs bras". À la longue, on ne pouvait ainsi défendre d’aussi vastes territoires avec si peu d'hommes, c’est pourquoi le Seigneur de Phocée se contenta de fortifier son château et de protéger ses intérêts commerciaux, forts du courage de ses seuls 52 cavaliers et 400 fantassins.

Phocée, contrairement à toutes les autres colonies génoises du Levant de l'époque, n'est pas un port de transit, mais un point d'embarquement de minerai d'alun. Un manuel de pratique commerciale de l'époque évalue le commerce annuel de l’alun à environ 14 mille quintaux, équivalents à environ 750 tonnes, qui produisaient un rendement de 65 mille lires génoises, chiffre astronomique pour l’époque (plus ou moins l’équivalent de 800 000 euros d'aujourd'hui).

Toutes les industries textiles de l'époque ont besoin d'alun pour fixer les couleurs. Contrairement à toutes les autres marchandises, l'alun enregistrait une véritable surproduction par rapport à la demande. Zaccaria s’avéra, non seulement un condottiere de classe, mais aussi un habile industriel. À un moment de l’Histoire où le commerce est beaucoup plus développé que l'industrie, il est nécessaire pour gagner plus de maintenir des prix élevés et de diminuer les coûts de production. Pour ce faire, les Zaccaria engageaient presque exclusivement de la main-d'oeuvre locale à vil prix et réduisaient le coût du transport en employant leurs propres bateaux, du port de départ à ceux d'arrivée. Une autre intuition géniale pour l'époque fut de se concentrer sur l'industrie de transformation, en décidant une phénoménale intégration verticale : du minéral brut au produit fini dans une filière libre de droits. Pour gêner la concurrence de l'alun de Trébizonde, supérieur au sien en qualité, il obtint de Michel Paléologue un décret ("chrysobulle") pour interdire le passage de l'alun à travers les détroits de la mer Noire.

Tandis que se posait pour l'alun le problème de la concurrence, celui de Chio était en sens inverse le monopole naturel de la production du mastic. Le problème était là de vendre aux prix les plus élevés possible ; pour ce faire, on plafonnait la production à 43 tonnes annuelles maximum, chaque tonne coûtant 400 lires génoises. Pour avoir une idée du profit, dans les années mille quatre cents, le prix était fixé par les Giustiniani à 45 lires le quintal et comme la récolte était en surproduction, l'excédent était brûlé pour éviter de baisser les prix.

En raison des longues absences de Benedetto Zaccaria pour ses voyages et ses activités diplomatiques, la situation au Levant sombra dans le chaos, après qu’à Michel VIII ait succédé le faible Andronic II.

En 1296 la flotte vénitienne commandée par Ruggero Morosini rasa complètement Phocée, Andreolo Cattaneo Volta, administrateur pour le compte des Zaccaria, fut contraint de transférer la population dans l'enceinte fortifiée de la Nouvelle Phocée autour du château qu’il avait fait construire au XIIIe siècle.

Chio était alors devenu un repaire de pirates musulmans. Benedetto Zaccaria profita de la situation, et en s’appuyant sur sa popularité politique et militaire en France, la reconquit avec le titre d'amiral et restaura son pouvoir en 1302 en désignant pour chef son neveu Tedesio, qui s’empara en 1306 du port de Thasos, refuge des pirates grecs.

Après de vaines demandes à l'empereur Andronic pour se voir reconnaître le droit d'exploitation des îles de Samos et de Cos, presque inhabitées à cette époque, Benedetto, les occupa en 1304, contraignant ainsi l'empereur à lui concéder pour dix ans la suzeraineté sur ces îles sous l’égide byzantin.

Ce fut également le moment d'une modification radicale du statut des Zaccaria qui, jusque-là, pouvaient se définir comme administrateurs de l'empereur latin. À partir de 1304, Benedetto et surtout ses descendants commencèrent à se poser toujours plus comme princes souverains, pendant que les liens avec l'empire byzantin allaient en se distendant.

Benedetto mourut en 1307, son frère Manuel deux ans après. À la mort de Benedetto, son fils Benedetto II, dit aussi le Paléologue, lui succéda à Chio. À sa mort en 1314, les possessions de Phocée et des îles furent divisées.

À Phocée, Tedisio s'allia avec les pirates catalans de Gallipoli à Pâques 1307 pour faire face à la menace musulmane, mais il perdra de nouveau la ville en 1313 au profit des Grecs, pour retourner à Thasos menacée par les troupes impériales. À Tedisio succédèrent Andreolo Cattaneo puis, à partir de 1331, année de sa mort, jusqu'en 1334, année où les ports reviennent aux mains des Grecs, son neveu Domenico.

A la mort de Benedetto II Paléologue, lui succédèrent dans le fief de l'île de Chio ses fils Martino et Benedetto III appelés conjointement au gouvernement en 1314.

En 1319 les deux Zaccaria reçurent l'investiture impériale des possessions de la part de Filippo de Constantinople.

Le gouvernement de cette nouvelle génération de Zaccaria était très semblable à celui des autres dynasties d'origine latines présentes dans le Levant chrétien.

Le roi de France Philippe "le Bel" avait fait des îles de Chio, de Ténédos, de Samos, de Marmora, de Mytilène et des ports de l’ancienne et de la nouvelle Phocée un petit royaume en investissant Martino Zaccaria et tous ses successeurs dans leur possessions, conférant à Martino Zaccaria le titre de roi et despote à la grecque, titre qu'il pouvait transmettre à tous ses descendants "utriusque sexus", c'est-à-dire mâles et femelles. Le gouvernement était alors de caractère collégial et tous ceux qui y participaient avaient le titre royal.

Martino Zaccaria fit une alliance profitable avec son premier mariage, en épousant l’une des filles de Bartolomeo Ghisi, grand connétable de Morée qui, outre la châtellenie de Tebe, avait la possession d'un des terzieri de l'Eubée et la seigneurie de Tinos, Mykonos et des Sporades septentrionales, et entrait en étroites relations avec la noblesse de la Roumanie latine.

Par suite de l'extinction des branches masculines des dynasties de l'Orient chrétien, beaucoup de fiefs se virent assignés à des chevaliers arrivés en Grèce à la suite des divers prétendants, intéressés avant tout à repartir pour l'Occident après avoir monnayé leurs prétentions.

C’est ainsi que Martino Zaccaria, bien enraciné à Chio, obtint la baronnie de Kalanutza d'Aymon de Rans, chevalier auquel elle avait été donnée par Louis de Bourgogne après l'extinction de la maison du Tremblay.

En secondes noces Martino épousa Jacqueline de la Roche, dernière héritière de la branche cadette de la maison des ducs d'Athènes, qui lui apporta en dot les baronnies de Veligosti en Messénie et de Damala en Argolide.

Malgré l'agrandissement de ses fiefs, Martino Zaccaria concentrait ses forces surtout sur Chio et sur le maintien de la suprématie navale dans la région, suprématie qui culmina avec la conquête et l'occupation du port de Smyrne en 1317.

En 1318, en faisant victorieusement face à une attaque turque, avec l'aide des Chevaliers de Rhodes, il réussit à imposer un lourd droit de passage aux marchands ottomans.

Martino réussit même à tourner en sa faveur les sympathies pontificales en luttant sans merci contre les marchands d'esclaves, ce qui lui permit d’obtenir la levée des interdits en vigueur sur le commerce avec l'Orient islamique.

Martino avait entre temps éloigné son frère Benedetto III de Chio en lui promettant une pension annuelle considérable. Sa puissance attira l'attention des Angevins de Naples et de la république vénitienne qui espéraient obtenir son aide pour leur expansion en Orient.

Martino obtint le 26 juin 1315 de Filippo de Tarente, prince d'Achaïe et empereur de Constantinople, le titre de "Roi et despote de l'Asie Mineure" avec les possessions des îles de Chio, Œnusses, Imbros, Ténédos, Lesbos, Samos, Icaria, Cos et des châteaux de Damala et de Kalanutza qui, avec le royaume de Thessalonique et le despotat de Roumanie, constituaient une des chimériques dépendances de l'Empire latin. En contrepartie, Martino concédait à l'empereur 500 hommes d’armes pour la croisade de "libération" de Constantinople.

Outre les recettes tirées de la possession des mines d'alun de Lesbos, déjà en partie contrôlées par Cattaneo, l’aspect le plus important était la concession de la possession de Ténédos et d’Imbros. Ces deux îles donnaient accès aux Dardanelles qui assuraient le contrôle de toute la Mer Noire. Qui désirait commercer avec le Pont devait s'accorder avec Martino Zaccaria.

Mais la faveur impériale initiale se transforma vite en jalousie et en antagonisme avec le nouvel empereur Andronic III, plus tenace.

La ruine de Martino Zaccaria est imputable à la trahison de son frère Benedetto III, qui fit appel en 1324 à l'empereur contre les agissements de son frère.

L'empereur proclama la déchéance de Martino Zaccaria de tous ses droits en Orient et envoya en 1329 une flotte de 105 navires pour reprendre l'île de Chio. Il emmena Martino en prison à Constantinople et laissa à grand peine à ses fils, Bartolomeo et Centurione, la vie sauve avec une partie de leurs objets de prix. Puis il poursuivit avec sa flotte jusqu'à Phocée, contraignant Cattaneo à lui jurer formellement obéissance et comme signe de sa propre souveraineté demeura dans le château où il tint sa cour pendant deux jours.

Pour prix de sa "trahison", il offrit le titre de préfet grec de Chio sous la bannière impériale à Benedetto III. Celui-ci, encore insatisfait, tenta sans succès de s'emparer de l'île en 1330. Après la mort peu après de Benedetto III sans descendance, Chio resta entre des mains gréco-byzantines, et quatre ans plus tard, Phocée était aussi reconquise.

Cependant, les fortunes des Zaccaria ne finirent pas avec Chio. Martino, sorti de prison sept ans après en 1331, suite aux pressions du pape et du roi de France, eut encore un rôle de premier plan à jouer en Orient.

En 1343, on lui confia le commandement de la croisade contre Omar Pacha, émir turc seldjoukide d'Aydin, pour reconquérir Smyrne perdue en 1328.

En 1344 vingt galères armées par le pape, le roi de Chypre, les chevaliers de Malte et de Venise, reprenaient Smyrne.

Bien que le pape lui ait interdit de reprendre Chio, Martino comptait très probablement sur un succès de la croisade pour réoccuper ensuite l'île en vainqueur, mais le destin fit partir ses plans en fumée. Martino Zaccaria mourut le 15 janvier 1345 sous les murs de Smyrne.

Moins d’un an après sa mort de Zaccaria, le commandant de la deuxième croisade contre Smyrne, Simon Vignoso rétablit définitivement la domination génoise sur Chio à la tête de la maona Giustiniani, témoignant ainsi que le plan de Martino était bien de reconquérir l’île.

Les fiefs égéens perdus, les Zaccaria se concentrèrent sur ceux du Péloponnèse, en assumant définitivement les traits et la mentalité de l'aristocratie franco-hellénique à laquelle les Zaccaria étaient apparentés.

Des deux fils de Martino, Bartolomeo mourut en 1334. L’autre fils, Centurione, hérita des possessions paternelles en Morée qu’il gouverna jusqu'en 1404. Il reçut le titre de Baron de Damala, depuis la captivité de son père à Constantinople jusqu’en 1336, et s’inséra dans la lutte dynastique des baronnies locales à la mort de Filippo de Tarente.

En appuyant le fils de Filippo Roberto, Centurione Zaccaria obtint la reconnaissance de sa souveraineté et la confirmation de ses droits plusieurs fois violés dans le passé par les princes angevins.

Martino Zaccaria avait aussi poursuivi le système d'alliances au travers des mariages de ses fils. Bartolomeo épousa Guglielma Pallavicino, qui avait apporté en dot le marquisat de Bodonitza. Centurione épousa la fille du gouverneur de la Morée byzantine, Andronic Asen, lui-même fils du tsar des Bulgares, Ivan III Asen, et d’Irène Paléologue, fille de Michel VIII et sœur d'Andronic II.

Ce mariage "impérial" liait les Zaccaria aux maisons impériales de Byzance et de Bulgarie, et consolidait les visées de la famille comme dynastie princière.

À la mort de son père, Centurione avait même hérité des baronnies de Kalandritza comprenant les forteresses de Stamira et de Lysaria qu’il renforça ultérieurement en mariant son fils Andronic Asen Zaccaria avec la fille unique du puissant baron d'Arcadie et de Saint-Sauveur, Erard III le Maure. Cette suprématie parmi les familles latines du Péloponnèse est même confirmée par son titre de baile de Morée.

A la mort de Centurione Zaccaria, son fils Andronic Asen Zaccaria réunit tous les fiefs et les titres de son père, y compris la seigneurie d'Arcadie héritée de son beau-père. Andronic devenait ainsi à la fois l'archevêque de Patras et l'unique grand baron latin resté dans une Arcadie précipitée dans une anarchie totale à la mort du dernier prince angevin.

Au moyen d’un réseau dense d'alliances entre les divers seigneurs européens qui s’appuyaient mutuellement et s'opposaient à divers prétendants au principat, apparut, également soutenu par Zaccaria, Pierre de Saint-Superan, commandant de la compagnie navarraise, son autre son beau-frère, l’époux de Marie Asen Zaccaria. Mais malgré deux héritiers mâles, Pierre de Saint-Superan ne réussit pas à fonder une dynastie.

A la mort d'Andronic Asen Zaccaria en 1402, son neveu Centurione II Zaccaria, préféré par sa veuve, lui succéda en attendant la majorité de ses jeunes fils, mais l'ambitieux neveu usurpa le trône au détriment de la veuve et de ses neveux avec l'approbation de Roi Ladislas. Il consolida son fief d’Arcadie en prenant une épouse dans la maison napolitaine de Tocco qui avait étendu sa domination aux îles Leucade et Céphalonie, héritées des Orsini, à l'Épire et à la côte occidentale du Péloponnèse, et en obtenant la nomination de son frère Stefano comme évêque de Patras.

Malgré ses succès, ses proches parents lui suscitèrent les plus gros problèmes. Dès 1406, Carlo Tocco, son beau-frère et duc de Leucade, et Stefano Zaccaria, un des fils dépossédés, entrèrent en guerre contre lui aux côtés de Teodoro Paléologue.

En 1408, Leonardo Tocco, seigneur de Zante, occupait le port de Clarenza, le principal port d’Achaïe et Stefano Zaccaria confiait Patras et toute sa baronnie aux Vénitiens pour cinq ans.

Pour se protéger de la famille Tocco, Centurione II fut forcé de s'assurer la bienveillance des Vénitiens, en en subissant l’influence. En même temps il engageait des mercenaires albanais et obtenait l’appui des Giustiniani de Chio. Ceci lui permit de reprendre à Tocco le port de Clarenza le 12 Juillet 1414.

Pour recouvrer son autonomie, il demanda à nouveau l'aide des Giustiniani de Gênes, offrant en échange de leur protection polico-militaire le contrôle direct des ports de Clarenza et de Port-de-Jonc (Navarin, l’actuelle Pylos).

La situation dans la république, menacée sur mer par les Aragonais et sur terre par le duc de Milan Filippo Marie Visconti, ne lui permettait de toute façon pas d’être un allié utile et les négociations prolongées qui durèrent trois ans affaiblirent ultérieurement la position du prince.

La réaction byzantine ne se fit pas attendre. En mai 1417, les troupes impériales de Teodoro II et de Giovanni Paléologue envahirent le territoire latin, en occupant la Messénie et une bonne partie de l’Elide, et Centurione II se trouva rapidement assiégé à Clarenza qu’il fut contraint d’abandonner par mer au printemps de 1418. Entre-temps, Patras était également menacé par les Grecs. Avec la médiation des Vénitiens qui occupaient Navarin, Centurione II put bénéficier d'une courte trêve.

Mais malgré sa ténacité, il perdit en 1429 aussi bien Clarenza que Patras. Le territoire qu’il contrôlait maintenant était réduit à quelques forteresses isolées comme son château ancestral de Chalandritsa, dans lequel il se retrouva assiégé par Tommaso Paléologue et finit par se résigner à la reddition. Les conditions obtenues lui permirent de conserver ses titres et la possession de la baronnie d'Arcadie, mais il aura dû céder les autres forteresses en dot à sa fille Caterina qui épousa le même Tomasso Paleologo, et reconnaître son gendre comme héritier. Après le mariage en 1430, Centurione II se retira dans son château d'Arcadie où il mourut en 1432, en dernier prince occidental de cette péninsule.

Pour éviter de possibles complications politiques, Tommaso Paléologue fit emprisonner au château de Clermont la veuve de Centurione II et un de ses fils illégitimes Giovanni Asen Zaccaria.

Le point final aux succès des Zaccaria en Orient ainsi posé, tout le Péloponnèse fut rassemblé sous la souveraineté impériale, même si les Ottomans étaient maintenant aux portes. En effet, en 1460, Mehmed II, conquérant de Constantinople, occupa aussi facilement toute la Grèce méridionale.

Paradoxalement le mariage même qui sanctionna la fin de la glorieuse famille Zaccaria, détermina un développement inattendu. La fille cadette de Caterina Asen Zaccaria et de Tommaso Paléologue, Zoe, fut donnée pour femme, alors que l'empire était désormais conquis par les Turcs, au prince Ivan III de Moscou, libérateur de la Russie du joug des Tartares et le premier à porter le nom de "Tsar". Schématiquement le sang des Zaccaria passait du second empereur chrétien – le premier était le Romain – au troisième, celui de Russie et de sa chrétienté orthodoxe.

Tels étaient le cadre historique qui se présentait au milieu du XIVe siècle en mer Égée et l'histoire de la glorieuse famille Zaccaria jusqu'au XVe siècle.

Par trois fois, avec le siège de Tripoli en 1289, avec Chio en 1329 et dans l'Achaïe en 1414, Gênes eut l'opportunité par l’intermédiaire des Zaccaria d’accroître considérablement son influence dans la péninsule balkanique, mais les guerres civiles l’empêchèrent d'exploiter ces opportunités.

 3 .LA NAISSANCE DE LA FAMILLE GIUSTINIANI

Le déclin de la puissance génoise se manifeste au XIVe siècle par deux évènements qui semblaient à leur tout début la replacer dans le concert des grandes puissances : l'instauration du gouvernement populaire et le commencement de l'activité des Maone.

Devant l'insuffisance et l’agitation du pouvoir central, de nouvelles associations privées naissaient, volontaires pour prendre en charge des intérêts particuliers politiques et économiques, les "alberghi" des nobles et les "conestagi" populaires, semblables aux cliques qui trois cents ans auparavant avaient mené à la naissance de la commune.

L'aventure des Giustiniani de Chio commence à l'instant de l'élection en 1339 du premier doge, Simon Boccanegra, des "populaires", descendant du premier capitaine du peuple. Il fut contraint de laisser Gênes sous l’influence des "nobles", en la personne de Giovanni de Murta, élu doge le 25 décembre 1344, aussitôt après sa déposition. Le nouveau doge s'employa à pacifier la ville dans un esprit équitable et honnête, mais il dut armer une petite flotte de trois galères et un corps de troupe pour vaincre les adversaires de la commune dans quelques localités de la Riviera puis, dans un second temps, 12 galères pour mettre de nouveau en déroute les "nobles" barricadés à Vintimille.

Avec l'aide des Grimaldi, les "nobles" affrétèrent une flotte de 34 galères pour attaquer directement Gênes. À cette époque, la ville se trouvait dans une profonde crise financière. Le doge, soutenu par le peuple décida de résister mais, vu les disponibilités réduites du trésor, il confia l’armement de la flotte à des citoyens, en garantissant leurs avances soit par des titres sur la dette publique soit par des concessions territoriales ou financières.

En 1345, plus ou moins concomitamment avec la perte des possessions de Chio et de Phocée dans le Dodécanèse, Giovanni de Murta organisa une souscription pour former une armée pour s’emparer de Roquebrune et Monaco devenus le centre des exilés adversaires de la République.

Chaque participant devait armer un bateau et verser une somme de 20 000 lires à titre de prêt à Gênes. En contrepartie, la République s'engageait à rembourser le prêt en concédant les butins de guerre à titre d'indemnisation de cette expédition.

Participèrent à la souscription 7 "nobili" et 37 "populani", mais 29 seulement d’entre eux réussirent à armer un bateau (certains disent 25). Ce groupe se constitua autour de la famille Giustiniani. La flotte fut armée de 6.000 hommes dont 1 500 arbalétriers. L’arbalète était le meilleur armement de l'époque, car on trouvait aussi dans les flottes des taillandiers qui garantissaient un approvisionnement constant en flèches. Un chroniqueur de l'époque remarqua que toute l'armée était vêtue de la même tenue, constituant ainsi une formation militaire régulière.

Le commandement fut confié, le 19 janvier 1346, au populario Simon Vignoso avec le titre de Precettore ou commandant en chef de la flotte.

La flotte était prête à être employée, mais les adversaires, intimidés par la puissance du détachement, se réfugièrent à Marseille sous la protection du roi de France. Décision malheureuse, car ils furent invités à participer à la guerre contre les Anglais qui les anéantirent à Crécy.

La flotte se trouva donc inoccupée avant même de commencer, même si à ce stade, on avait déjà contracté un crédit pour son armement et son entretien. Vu la nécessité pour la république de protéger ses possessions au Moyen Orient, elle fut envoyée en mai de la même année au Levant, pour défendre les intérêts commerciaux de Gênes à Caffa en Crimée, et ses ex-possessions de nouvelle et d’ancienne Phocée, autrefois gouvernées par les Zaccaria avec le titre de roi de l'Asie Mineure, et reprises par l'Empereur Andronic II en 1325. À celles-ci, on ajouta même l'île de Chio, non possédée par les Zaccaria mais dont ils avaient eu le titre de prince. Sur les mêmes territoires, pesaient alors la menace mongole de Jani-beg et les visées expansionnistes de la république de Venise. Les conquêtes du Levant auraient permis de solder la dette contractée avec les Giustiniani pour l’armement de la flotte grâce à une concession sur vingt ans accordée à travers "toutes les commodités et les avantages de tous les lieux et les terres qui auraient été acquis par l'amiral, les capitaines et les hommes des galères pour l’entière somme qui leur est due comme compensation égale à 203.000 lires génoises". Il devait y avoir ensuite une relation de type féodal, une investiture provisoire des conquêtes futures.

Le départ pour l'Orient, avec 4 galères supplémentaires, eut lieu le 24 avril 1346. Avant d'arriver en mer Égée, la flotte génoise fut employée à la défense de la ville de Terracina assiégée par le comte di Fondi. La ville n'étant pas en mesure de résister s’était offerte à la suzeraineté perpétuelle de Gênes. Les forces écrasantes des Génois permirent une victoire facile. Pour cette conquête, les Giustiniani se virent reconnaître un crédit ultérieur évalué à 3.600 florins d'or. Les détails de cet épisode sont narrés par Fabrizio Appoloni Ghetti dans le livre "Destin de trois siècles" sur la "Maona Giustiniani"

La flotte poursuivit sa route vers Negroponte en Eubée où Simon Vignoso eut connaissance des projets de conquête de la flotte vénitienne commandée par Umberto II, dauphin de Vienne, sur les territoires visés par l’expédition, dans le but de consolider la conquête de Smyrne et de secourir Caffa. Umberto II cherchait à prendre Chio de toutes les façons, soit en cherchant à convaincre l'impératrice Anne de Savoie, veuve d’Andronic III mort en 1341, soit en soudoyant Vignoso, mais il n’obtint que le résultat contraire, à telle enseigne que Vignoso s’empressa de cingler vers Chio.

Après une inutile intervention diplomatique des Grecs qui cherchaient à conserver leur indépendance, il fit son entrée dans le port de Chio le 16 juin 1346 et occupa en trois jours l'île dont il s’assura le contrôle total le 12 septembre, après trois mois de résistance héroïque de la citadelle. Il reprit l’ancienne Phocée quatre jours après, et le 20 du même mois la nouvelle Phocée avec un corps expéditionnaire commandé par Pietro Recanelli Giustiniani.

Pendant qu'il s’apprêtait à reconquérir Ténédos et Lesbos, Vignoso dut retourner à Chio menacée par les impériaux. Le 9 novembre 1346, de retour à Gènes, il reçut les acclamations de la foule.

Le doge n'ayant pas de ressources pour rembourser la dette contractée avec les nouveaux amiraux, céda aux 29 armateurs ("Mahonenses"), le 26 février 1347, la juridiction civile et fiscale de Chio ("dominum") et le monopole du commerce du mastic pendant 20 ans.

La défense et l'administration des colonies furent confiées exclusivement aux Maonesi, la commune ne se réservant que la haute souveraineté, la juridiction civile et militaire, la propriété des forteresses des trois chefs-lieux (Chio et les deux Phocée), ainsi que le droit de nommer les podestats et les commandants militaires, toujours en accord avec les Maonesi.

Ainsi s’opéra la première formation de la Maona (dite ensuite la "vieille"), qui prit en 1359 le nom de Giustiniani pour donner un vocable explicite au consortium familial qu’ils avaient créé.

Les Maone nées en tant qu’institutions privées au service de l'État, ne pouvaient pas avoir toujours une politique en ligne avec celle du gouvernement. A l’instar des futures compagnies coloniales espagnoles et anglaises, elles devaient se préoccuper de bonne gestion avant la grandeur de l'État. Un système qui avait aussi pour Gênes certains avantages sur le front diplomatique, avec la possibilité de désavouer si nécessaire les actions des particuliers.

Pendant le siège de Chio en effet, l’impératrice Anne de Savoie avait envoyé l'amiral Italien Facciolati avec quelques bateaux grecs à l’attaque des marchands génois de Galata, faute d’affronter l'armée de Vignoso. Mais en raison de l'insurrection de la ville, elle fut obligée de payer une indemnité. L'année suivante, en 1348, le nouvel empereur Giovanni Cantacuzène demanda à la commune de restituer Chio et Phocée. Le doge, habilement, promulgua un décret, bien conscient que la Maona ne lui aurait pas obéi.

Le Dodécanèse, infesté des pirates, était maintenant sous la menace des Mongols. Gênes rechercha la protection impériale, sans trop pénaliser son commerce. Elle imposa à la Maona de payer un tribut à l'empereur qui l'obligea à hisser la bannière impériale. En pratique, une telle mesure restera inappliquée, si ben qu’avec l'aide du Génois Giovanni Cybo, les impériaux entreprirent de reprendre la pleine possession de l'île. Cantacuzène échoua à Chio, mais avec l’aide de la population, il réussit à s’emparer des deux Phocée qui furent reprises peu après par les Maonesi sous l’égide du condottiere Andrea Petrila. Quelques années après, ils récupérèrent également Samos, Icaria, Œnusses et Santa Panagia.

En janvier 1350, le doge Giovanni de Murta meurt d’une épidémie de peste, qui s'est répandue en Europe à partir de Caffa en Crimée. La population européenne est violemment frappée avec une mortalité entre 40 % et 60 % dans les villes. La même année, une nouvelle guerre éclate entre Gênes et Venise. En septembre, trente-cinq galères vénitiennes attaquent au large de Chio quatorze galères génoises commandées par Nicolo de Maineri, et en détruisent dix. Les quatre restantes, réunies à quatre autres commandées par Filippo Doria, réussissent le 10 octobre à détruire vingt galères vénitiennes et à s’emparer du château de Carystos, puis retournent à Chio chargées de butin.

Venise a envoyé une autre flotte pour reconquérir l'île, mais la situation évoluait rapidement à cause de la pression menaçante des Ottomans. Le conflit entre Gênes et Venise s’apaisa, au point que nous trouvons la Maona alliée à Venise dans la nouvelle ligue contre les Turcs de juillet 1352.

A la suite de toutes ces vicissitudes, l’ancienne Maona ne réussit plus à être efficacement opérationnelle en raison de défections et vendit des parts. La république génoise n'étant pas encore en mesure de solder sa dette, chercha un compromis entre les vieux créanciers et les nouveaux ayant droit.

Le 8 mars 1362, il fut établi qu’on formerait une nouvelle "société" à laquelle seraient confiés pendant douze ans le gouvernement et l'exploitation commerciale de Chio jusqu'au 14 février 1374 et que la "vieille" Maona serait liquidée moyennant le paiement de la dette en cours avec la République en 1347. Un tel contrat était valide tant que demeurait à Gênes le gouvernement populaire. La république se réservait le droit de changer le contrat par anticipation, jusqu'au 26 février 1367, en remboursant aux Giustiniani sa dette de 203.000 lires génoises.

Le 14 novembre 1362 naît la "nouvelle" Maona des Giustiniani sous la direction de Pascal Forneto et de Giovanni Oliviero. Les associés fondateurs, tous popolarii, étaient douze : Nicolo de Caneto de Lavagna, Giovanni Campi, Francesco Arangio, Nicolo de San Teodoro, Gabriele Adorno, Paolo Banca, Tommaso Longo, Andriolo Campi, Raffaello de Forneto, Luchino Negro, Pietro Oliverio (ou Liviero) et Francesco Garibaldi.

Les associés s'unirent en "albergo" en abandonnant leur nom, à l’exclusion de Gabriele Adorno. Les Adorno transformèrent le leur en Pinelli ; mais en 1528, avec la réforme des "alberghi" familiales, ils adopteront en définitive celui de Giustiniani. À ces douze s'ajoutera ultérieurement un treizième : Pietro de San Teodoro. Au cours de divers évènements, beaucoup d’"actionnaires" se retireront pour diverses raisons, mais ils conserveront le nom de Giustiniani.

Dès 1362, Pietro Recanelli Giustiniani, qui succèdait à Simon Vignoso à la régence de Chio, acquit deux parts et devint bien vite l'âme de la nouvelle Maona.

Pietro Recanelli était déjà une personnalité très en vue dans la Gênes d’alors, on l’a considéré comme  descendant de la souche génoise des Giustiniani ; il avait épousé Marguerite, fille du doge Gabriele Adorno. En 1350, à la tête d’une expédition armée, il reprit Phocée aux Grecs. Il se distingua à Smyrne comme lieutenant du pape pendant la période 1361-1365, fut amiral de la République lors des troubles suscités par les Doria rebelles en 1365-1366 et conclut la paix en 1368 à Chypre avec les Mameluks. Il mourut en 1380.

  4 .L’ HISTOIRE DES GIUSTINIANI DE CHIOS DE 1363 A 1566

Le 8 juin 1363, l'empereur byzantin Giovanni V Paléologue renonce définitivement a son pouvoir sur les îles et cède aux Giustiniani les droits sur Chio, Samos, Œnusses, Sainte Panagia et Phocée, qui était devenue un des entrepôts le plus florissants de l'Asie Mineure, en conférant aux Giustiniani les titres de roi et despote, à la grecque, titres qui pouvaient se transmettre à tous leurs descendants "utriusque sexus", c'est-à-dire mâles et femelles. Le gouvernement était alors de caractère collégial et tous ceux qui y prenaient part portaient le titre royal dans les modalités et la forme qu’avaient connues les Zaccaria. Ces privilèges furent ensuite renouvelés pour quatre nouvelles années le 14 juin 1367.

Cette confirmation avait été nécessaire parce que, quelques années auparavant, en 1348, l'empereur Giovanni Cantacuzène avait demandé l'île de Chio aux Génois qui, l'année d'avant, exactement le 12 février 1347, l'avaient cédée en usufruit aux Giustiniani avec les îles de Samos, d’Icaria, d’Œnusses et de Santa Panagia, et leur avaient aussi concédé le privilège de battre monnaie "quod posset dictus potestas (Syu) nomine comunis Ianuae cudi et cudi facere in insula Syi monetam argenti de liga". Ce privilège fut renouvelé le 15 septembre 1439, ce qui balaie le doute quant à la souveraineté pleine et entière des Giustiniani sur l'île. La dernière monnaie frappée à Chio porte les initiales de "V.I." (Vincentius Iustinianus) et date de 1562.

Ne pouvant pas rembourser son emprunt, la République de Gênes prolongea à plusieurs reprises les droits de propriété de la Maona Giustiniani jusqu'au 21 novembre 1418.

Le gouvernement des Giustiniani, aussi bien, ne fut pas ininterrompu. Pendant la guerre avec Venise en 1379, l’ancienne Phocée fut momentanément conquise par les Vénitiens.

Au milieu du XIVe siècle, le centre de l'Asie Mineure échappe au contrôle éphémère des Mongols et un nouvel ennemi terrible apparaît sur les côtes turques : les Ottomans, hostiles et méfiants à l’égard des Génois.

L'instabilité politique à Gênes favorisait l'ascension et les prétentions des colonies et des maone utilisées par Gênes à différentes fins, telles que l'exploitation coloniale. Ainsi en 1378, lorsque sous le poids du coût de la guerre de Chioggia, la commune utilise la maona pour couvrir l'opération d’inféodation de la Corse à six citoyens, appelés tout à tour "Mahoneses, Feudatarii, Apaltatores", qui ensuite se réduisirent au seul Leonetto Lomellino en 1405. Depuis le commencement du XVe siècle, les maone n'ont plus pour objectif la conquête de nouveaux territoires, mais la conservation de ceux qu’elles possèdent déjà.

Gênes contrôlait la mer Noire à travers Galata et l'île de Ténédos, mais ayant les mêmes vues commerciales, elle devait constamment se confronter avec les Vénitiens et avec les empereurs byzantins. C’est véritablement alors qu’émerge la figure de Francesco Gattiluso, qui en épousant la sœur de Giovanni Paléologue obtient l'île de Lesbos en dot. Quelques années auparavant, en 1386, la grande ville d'Enos avait spontanément rejoint les fiefs de Gattiluso, et bien vite s'est ajoutée l’inféodation de l’ancienne Phocée (même si formellement dans la mouvance des Giustiniani), et plus tard de toutes les autres Sporades septentrionales, Thasos, Lemnos, Imbros et Samothrace. Les Gattiluso avaient le grand mérite diplomatique de se conformer aux coutumes grecques, ils étaient vassaux de Byzance, parents de la maison impériale et ils adoptaient pour leurs fils des noms grecs.

En 1380, les janissaires de Murad Ier et Rajasid Ier enlèvent à la Maona l'île de Samos, puis peu après l’ancienne et la nouvelle Phocée durent ouvrir leurs portes aux Ottomans.

En 1403, les Mongols ont brutalement imposé leur hégémonie sur le Moyen Orient, avec l'ascension de leur condottiere "Timur le boiteux " dit le "Tamerlano", qui réussit à rassembler les royaumes mongols épars. En 1402, il infligea à Ancyre une lourde défaite aux Ottomans. Toute l'Asie Mineure fut rapidement conquise, moins par les Mongols eux-mêmes que par la terreur qu’ils inspiraient. Tamerlan mourut peu après, en 1405, et sa domination s’acheva ainsi, aussi rapidement qu’elle avait commencé, et les Ottomans reprirent le contrôle de l'Égée.

La Maona s’était garanti une certaine indépendance en payant aux Ottomans un fort tribut d’environ 4.000 ducats. Une pratique normalement suivie par d’autres peuples d'Asie pour s'assurer leur bienveillance.

Au XIVe siècle, les modalités de gestion des colonies changèrent. Elle n’étaient plus directement contrôlées par le gouvernement de Gênes, mais par la Maison de Saint Georges qui reprend les dettes de la commune vis-à-vis des Maone et des administrateurs des colonies. Ce fut ainsi le cas pour Famagouste, pour la Corse et pour beaucoup d'autres possessions de la Mer Noire.

Avec la chute du gouvernement "populario" à Gênes, les Maonesi, profitant d’un article de la convention passée avec la République, se rebellèrent contre les représentants du roi de France qui avait imposé sa domination sur Gênes. Les anciens traités rendus caducs par cette situation, la Maona proclama l'indépendance le 21 décembre 1408. Le nouveau gouvernement francophile envoya le 18 juin 1409 en mer Égée une expédition commandée par Corrado Doria. Le condottiere chercha un compromis avec les Giustiniani pour s’emparer personnellement du contrôle de l'île, prétendant être actionnaire majoritaire. Grâce à une habile action diplomatique, mais aussi compte tenu de l'extrême importance de la Maona pour la défense des intérêts commerciaux de Gênes vis-à-vis des pirates et des Ottomans, le conflit s’apaisa, et la "rébellion" fut vite oubliée. Ce fut le dernier acte d'autorité de la république sur ses possessions d’outre-mer, qui bénéficièrent à partir de ce moment d’une autonomie pratiquement illimitée, plus du fait de la faiblesse de la mère patrie que de la force des colonies. Cette situation finit par nuire à tous.

À partir du XVe siècle, presque toutes les colonies virent se tarir lentement les sources de prospérité économique. Le début de la décadence n’empêche pas cependant Pera, Chio et Famagouste de s'embellir et d'éblouir par la beauté de leurs palais les étrangers de passage, comme Ciriaco d'Ancône, humaniste-marchand qui parcourut toute la mer Égée à la découverte des monuments de la Grèce classique et Andriolo Banca, qui devint grâce à son savoir l’ami du pape Eugène IV et chanta en vers la guerre contre Venise en 1431.

La Maona réussit également à maintenir une certaine prospérité, avec d’habiles jeux d'alliances avec les États concurrents – Venise et le Royaume de Rhodes – mais aussi par des ambassades auprès des Ottomans. Giovanni Adorno Giustiniani, fils du doge Georges et à sa suite Percivalle Pallavicini ont été plénipotentiaires à la cour ottomane de Mehmet Ier.

Les Gattiluso et les Giustiniani prennent part en 1416 à une expédition victorieuse du même Mehmet Ier contre le prince seldjoukide de Smyrne.

Les alliances entre Latins et Ottomans n’étaient pas rares dans le Levant, comme autrefois celles avec les Égyptiens, mais elles ne résultaient pas d’un dessein politique au niveau des États, mais plutôt d'initiatives d’individus agissant par intérêt personnel, pour réduire le lourd tribut imposé pour continuer à commercer sur ces terres, plus que pour des gains territoriaux.

En novembre 1431 une nouvelle guerre éclata avec Venise. Une flotte de trente bateaux vénitiens avec à leur tête Andrea Mocenigo, Dolfino Venier et Scaramuzza de Pavie assiégeait Chio, pendant que les Génois cherchaient à exercer des représailles sur les Vénitiens à Tana. Venise pour l'occasion sut trouver des alliés valables comme le Turcoman Uzun-Hassan, alors maître de la Perse. Gênes, gouvernée par les Visconti, demanda même l’aide au sultan ottoman Murad II pour la défense de Chio, contre la "gens superbissima Venetorum". Cette intervention ne fut heureusement pas nécessaire car la Maona réussit à se défendre toute seule. La Maona ne disposait dans la forteresse[1] de Chio assiégée que de 300 soldats commandés par Leonardo de Montaldo, mais celui-ci résistait stoïquement aux attaques répétées des écrasantes forces ennemies. Le jour de Noël 1431, en attirant l'ennemi dans le port défendu seulement par des navires marchands, il le prit à revers en déclenchant une puissante et victorieuse attaque contre les Vénitiens, pris par surprise. Le siège de Chio fut levé le 17 janvier 1432. En avril, Andrea de Marini vainquit définitivement les Vénitiens dans le Dodécanèse. Mocenigo et Venier de retour à Venise seront jugés pour avoir mal conduit le siège de la forteresse de Chio. La même année, la paix définitive entre Gênes et Venise est conclue parce que l'ennemi commun ottoman se faisait toujours plus pressant dans les possessions des républiques en mer Égée.

Ces alliances "personnelles" aboutirent aux pires conséquences en 1444, lorsque pendant la croisade du pape Eugène IV, des navires génois appartenant à des particuliers à la solde des Ottomans, permirent de vaincre les chrétiens à Varna le 10 novembre, après la victoire initiale de Nish. Le sabotage de la croisade aggrava le malaise de l'Europe vis-à-vis des Génois.

L'alliance fausse et contre nature avec les ennemis de la foi et de la race fut une cause de déclin aussi grave que la corruption des fonctionnaires coloniaux et la décadence économique du Levant latin. Les Ottomans étaient des adversaires bien plus sérieux que les Égyptiens au commencement du millénaire. Tant que le Sultan était disposé à laisser vivre les colonies payant tribut, c’était un sacrifice que les Génois et les Vénitiens pouvaient supporter, par comparaison au coût d’une guerre et à la ruine du trafic commercial pendant les combats.

C’est pendant cette période que les Ottomans développèrent leur flotte, jusque-là très inférieure aux galères italiennes en moyens et en armement naval. Pour sortir de cette infériorité, ils furent paradoxalement aidés par les techniciens et les officiers mêmes des deux républiques, génoise et vénitienne, qui lâchèrent leur patrie pour contribuer, contre de l’argent, à renforcer la puissance militaire de leur adversaire.

Avec la pression des Ottomans après 1420, les Giustiniani virent progressivement baisser les profits de la production du mastic, du vin et de la soie. La recette de l'impôt portuaire baisse de 1 942,10 lires génoises en 1408 à 1.700 lires en 1424.

Quant à Phocée, les ventes de son alun étaient rendues toujours plus problématiques par l’accroissement de la concurrence des minéraux extraits de tous les pays de l'Asie Mineure, dû au cartel récent des Gattiluso qui avait concédé beaucoup de nouvelles mines, parmi lesquelles celle d'Ipsala sur la Màriza, qui acheminaient leurs produits pour l'exportation via le fleuve Enos. Cette circonstance, et la prospérité agricole constante des îles firent que les Gattiluso étaient peut-être les seuls Génois de la mer Égée à échapper à la crise.

Le désastre de Varna enleva à la chrétienté ses dernières velléités de défendre les forteresses latines en Orient et précéda de quelques années la chute de Byzance.

Le 14 avril 1452, le sultan Mahomet II fit entamer les travaux de construction d’une forteresse sur le rivage européen du Bosphore, à quelques kilomètres de Constantinople, pour l’assiéger.

Le rêve de Mahomet II était de conquérir la ville pour en faire la capitale de l'empire ottoman. Son père, Murad II, avait aussi tenté la conquête dans le passé, mais il avait été repoussé.

Constantinople était une ville presque en ruine, quittée par la moitié de sa population, avec des commerces insuffisants à lui garantir la survie. Lorsque l'empereur Constantin XI succéda en 1448 à son frère Giovanni VIII, elle était considérée comme imprenable, avec ses murailles hautes et épaisses, et elle avait su repousser beaucoup d’assauts jusqu'à la venue de Mahomet II.

Lorsque la situation commençait à s’aggraver avant 1453, Constantin XI se tourna vers l'Occident pour qu'il assume la charge et l'honneur de défendre la capitale d'Orient. Il offrait, en échange de troupes et de bateaux, l'union des deux Églises, l'orientale et l’occidentale, sans parvenir à convaincre les princes de la chrétienté, toujours divisés par des discordes.

En mars 1453, Mahomet II avait concentré autour de Constantinople une armée d’environ cent vingt mille hommes. En outre, il pouvait compter sur cent quarante cinq bateaux et sur une puissante artillerie.

Pourtant, Constantinople, tout en continuant d’être importante du point de vue historique, ne l'était plus du point de vue politique. Pour Mahomet en revanche, elle était encore grande aussi bien dans un sens que dans l'autre. Il lui semblait que la ville impériale était la quintessence de la vie. Bien plus que de faire partie du monde civilisé, la possession de Constantinople signifiait en être le patron : depuis des temps immémoriaux sa splendeur dorée séduisait les nomades.

Le sultan des Turcs croyait le titre d'empereur des Romains lié à la possession de Constantinople et espérait qu'en la conquérant, il aurait la légitimité aux yeux des Européens, car il savait qu'ils le considéraient comme un barbare. Il désirait non seulement s'emparer d’une métropole célèbre, mais il ambitionnait la "reconnaissance sociale", la preuve en est sa tentative de nier son ascendance ottomane et de se vanter d'être un Comnène.

Venise, qui considérait Constantinople comme une énorme entreprise commerciale, ne savait pas si elle devait aider ou non la ville menacée. D'un coté elle craignait pour les possessions qu’elle avait sur la Corne d'Or, mais de l'autre elle ne voulait pas détériorer les rapports commerciaux favorables instaurés avec les Ottomans. Gênes qui était implantée dans le quartier de Pera réagit d’une manière aussi indécise. Ainsi, en laissant à ses marchands la pleine liberté de se ranger pour ou contre les Ottomans, elle ordonna simultanément au podestat de Galata de trouver avec Mahomet un accord qui garantisse l'inviolabilité des biens génois. Les Ragusains présents à Constantinople n’auraient soutenu Byzance que si s'était constituée une grande coalition chrétienne contre les Turcs.

L’Angleterre et la France n’auraient même pas pu venir en renfort, d’autant qu’elles étaient tout juste sorties épuisées de la guerre de cent ans.

Le pape avait en vain prié Frédéric III d'aider la ville menacée, mais il dut à la fin se contenter d’un légat avec quelques centaines d'hommes d’armes. Résultat : l'Europe laissa tomber Constantinople, le monde chrétien avait rayé de sa mémoire son ancienne capitale.

Dans le port de Byzance, il y avait des bateaux vénitiens avec des capitaines qui n’avaient pas le cœur d’abandonner la ville menacée, et les malheureux équipages au service des Byzantins. De Gênes, était arrivé au dernier moment avec 700 mercenaires le célèbre Giovanni Giustiniani Longo qui voulait éprouver le frisson du siège, comme le rappela Lord Byron dans ses mémoires au XIXe siècle. En tout, ils étaient 2000 étrangers à défendre les murs chrétiens.

Pour sa part, Constantinople avait moins de cinq mille soldats. Pour être précis, on pouvait compter sur 4973 hommes aptes à la guerre, une misère si on pense au million environ d'habitants qu’elle avait du temps de son apogée. Vraiment peu pour défendre vingt-deux kilomètres de murs de l'assaut de cent vingt mille musulmans. La flotte elle-même était beaucoup plus réduite : il y avait huit bateaux vénitiens, cinq génois, un d'Ancône, un de Barcelone et un de Marseille et dix autres byzantins plus petits, soit un total de 26 bateaux qui restèrent tout le siège mouillés dans le port. En guise d’armes et de munitions : peu de couleuvrines, une quantité insuffisante de poudre et quelque très vieilles catapultes.

Sur les murs combattaient des Grecs, des Latins, des Vénitiens et des Génois. Sont cités parmi eux: Maurizio Cattaneo, qui força témérairement les détroits et la Corne d'Or pour porter secours à Constantinople avec ses trois bateaux, et même Giovanni Giustiniani Longo, le meilleur condottiere de la ville, qui ne tarda pas à assumer le commandement suprême des opérations. L'ex-corsaire fut l'âme de la défense, "solide comme un diamant au feu" écrivait le chroniqueur Grec Calcocondita, venant également de Chio, combattant pour son propre compte et non pour les Maonesi, avec la promesse du duché de Chypre.

Constantinople tombe le 29 mai 1453. Au cours de cette terrible nuit, Giovanni Giustiniani Longo s'emploie sans répit à faire colmater les brèches des murs. Près de la porte de San Romano, où la muraille était complètement en ruine, il éleva un nouveau rempart au moyen de fagots de branchages, derrière lequel il se retrancha dans un fossé. Giustiniani était une vraie tour dans la bataille et pour cette raison une cible constante de la hargne de ses adversaires. On dit que la renommée de son courage arriva jusqu'au Sultan, qui chercha en vain à le soudoyer. Mais devant le piteux état des murs qui s’écroulaient de partout, toute la prudence et la fermeté du Génois et de ses lieutenants furent vaines.

Alors même que le courage revenait dans le rang des chrétiens, l'épouvantable nouvelle de la blessure de Giustiniani se répandit. Le splendide cavalier de la Renaissance, le généreux aventurier, sembla se rendre compte pour la première fois qu’il était lui-même mortel, et une telle découverte l'anéantit. Il se fit porter sur une litière, suivi de presque tous les Italiens, et força le bloc des assaillants. Tentative inutile puisqu’il mourut deux jours après son arrivée à Chio. L’éloge funèbre de Giovanni Longo Giustiniani fut fait par Mahomet II qui dit de lui qu’à lui seul il valait plus que l’ensemble de la flotte grecque.

La fermeté héroïque du reste des défenseurs, commandés par le bailli vénitien Gerolamo Minotto, ne suffit pas à arrêter l'assaut. Constantinople fut pillée trois jours durant, les notables de la ville furent tous décapités. La liberté en Méditerranée mourut pratiquement avec Constantinople.

La chute de Constantinople fit grande impression partout dans le monde chrétien, plus parce qu’elle allait perturber les équilibres politiques et interrompre probablement les flux commerciaux, que parce qu’elle allait affecter la religion des populations. Après Constantinople, Pera succomba aussi, sans effusion de sang, grâce à un acte de soumission qui n’empêcha cependant pas les destructions et les saccages de la part des Ottomans.

La Maona chercha par tous les moyens à maintenir son indépendance, en acceptant de payer un tribut terriblement élevé au Sultan de 40 000 ducats d'or, heureusement réduit de moitié par la suite.

Avec la conquête de Constantinople, l'empire ottoman s'était désormais renforcé dans toute la zone de la Mer Noire et dans une bonne partie de la mer Égée où agissaient les florissantes colonies génoises et vénitiennes. Bien que les relations entre les deux rivaux n’aient pas été bonnes à cette époque, les moments n’étaient pas rares où elles commerçaient intensément entre elles. Le Vénitien Gio Rolando Villani, juriste lettré et marchand né à Pontermoli au début du XVIe siècle nous en fournit un témoignage. Son père l'appela à Chio et il lui raconta lui-même le voyage dans les chroniques qu'il écrira ensuite. Il partit de Pontremoli en mars 1529 pour Venise, où il s'embarqua sur un des bateaux des Giustiniani de Gênes. Il voyagea le long de la côte adriatique de l’Istrie jusqu'à Durazzo, échappa aux bateaux turcs, parcourut les côtes de la Grèce et l’archipel de la mer Égée ; à sa description, il ajoutait des relevés topographiques évoquant les aventures des héros d’Homère. Il vit Athènes et Samos, et finalement il arriva à Chio le 3 juillet 1529, où il trouva le père honoré administrateur de la justice. Le vieux Villani poussa son fils vers le commerce en profitant de l'aide que pouvaient lui fournir les Giustiniani eux-mêmes, qui lui prêtèrent tout de suite de l'argent et le confièrent à un de leurs agents pour qu’il lui enseigne le métier. Nous le voyons alors vendre des étoffes à Tyr en Asie et à Lamek. Il accomplit d’autres voyages à Smyrne, à Lesbos, à Constantinople et en mer Noire ; de là, il remonte le Danube jusqu'en Valachie en achetant et en vendant des marchandises.

Entre temps, la vie à Chio suivait plutôt tranquillement son cours, d’autant que les luttes intestines italiennes n'intéressaient pas les colonies d’outre-mer qui n’avaient aucune aide à attendre en cas de danger.

La république génoise renouvela encore à plusieurs reprises la convention avec les Giustiniani pour l'exploitation de Chio jusqu'au 15 juin 1542 mais, avant ce terme, elle la transforma en 1528 en droit perpétuel, contre le paiement annuel d’un tribut de 2 500 lires (l’ancienne redevance fixée déjà en 1385). À cette occasion solennelle, tous les Maonesi vivants à l'époque furent inscrits dans le livre d'or de la République.

Les Ottomans, toutefois, continuèrent à chercher à tout prix à prendre le contrôle définitif des îles, en visant à chasser tous les chrétiens de la mer Égée. Sous prétexte de soutenir militairement la prétention du noble Génois Francesco Draperio dans son conflit avec la Maona pour une cargaison d'alun soi-disant impayée, une puissante flotte ottomane jeta l’ancre au printemps de 1455 au large de Chio. L'amiral turc Hamsa bey estima ne pas devoir risquer une attaque, vu la bonne fortification de l'île. Avant le départ de l'expédition, un soldat turc fut tué, surpris en train de profaner une église, et une galère ottomane fut coulée dans l'échauffourée qui suivit. Hamsa, en représailles, se borna à détruire les vignobles et les jardins de l'île et à prendre en otage à Rhodes les ambassadeurs de la Maona Nestore et Quilico de Furneto.

La république génoise engagée dans la guerre avec Alfonso d'Aragon, ne pouvant pas aider ses colonies lointaines, se borna à armer deux galères avec 800 hommes sous le commandement de Pietro Giustiniani et à invoquer l'aide du pape et du roi d'Angleterre Henri VI.

La vengeance ottomane ne tarda pas. À l'automne de la même année, vingt trirèmes ottomanes commandées par Junusch bey, firent mouvement vers Chio et bien qu'une tempête en dispersa la majeure partie, elles conquirent sans combattre la nouvelle Phocée, gouvernée à ce moment là par Paride Giustiniani, qui se rendit spontanément. Ceci n’empêcha pas le pillage du port, la profanation des églises et la mise en esclavage d'une bonne partie de la population.

Domenico Gattiluso fut forcé de céder Thasos et d’augmenter son tribut au sultan pour Lesbos, qui formait alors avec Chio les dernières possessions des Génois en mer Égée.

Mahomet II continua d'expulser les Latins des côtes de la Mer Noire, en occupant Salmastri, Sinope et Trébizonde entre 1459 et 1462.

La veille de Noël 1455, les Ottomans occupèrent l'île de Lesbos qu’ils prendront ensuite définitivement le 16 novembre 1462. Le dernier des Gattiluso, Nicolo II fut fait prisonnier et étranglé à Constantinople. Le fait d'avoir résisté à la férocité ottomane pendant quinze jours provoqua un saccage dévastateur. La même année, Kalids Ali, satrape du sultan, occupa Samos.

En 1456 le tribut ("kharatch") fut porté graduellement de 6.000 à 14.000 monnaies d'or, en plus de l’indemnité de 10.000 monnaies d'or pour la perte de la galère pour les événements du printemps 1455. Il n'était pas rare, aussi bien, que d'autres tributs una tantum soient extorqués sous les prétextes les plus divers.

En 1463 Giovanni Antonio Giustiniani Longo était à Constantinople pour conclure une paix durable avec les Ottomans, mais cela n’empêchait pas les brimades et les heurts contre eux jusqu'en 1477.  

En 1473 la colonie de Caffa sur la mer Noire tombe. En 1481 les Giustiniani abandonnent l'île de Samos et laissent Icaria aux Chevaliers de Saint Jean, à qui ils avaient déjà cédé Cos. Ces îles, dépourvues de ports et presque désertes, ne présentaient que peu d’intérêt aussi bien pour les Giustiniani que pour les Ottomans.

En 1482 Mahomet II meurt, en déclenchant une lutte pour sa succession. Une flotte composée de bateaux napolitains, pontificaux et génois commandés par Paolo Fregoso et stipendiée par le pape ligure Sixte IV della Rovere, expulsa les Ottomans d'Otrante. Ce pouvait être l'occasion d’un nouveau départ dans la reconquête des possessions perdues d’Orient, mais cette fois encore les discordes des Italiens rendirent vain le projet.

Une nouvelle menace ottomane se profila sur l'île de Chio en 1495, mais grâce à la défense des 300 soldats d’élite commandés par Tommaso Giustiniani, il n'y eut pas de bataille.

L'action diplomatique des Maonesi fut ininterrompue, les ambassadeurs de François 1er de France en Orient, le baron de Saint Blancard et le baron d'Aramon, passèrent à plusieurs reprises à Chio, ainsi que le prince de Luxembourg en 1552.

Malgré les efforts financiers et diplomatiques renouvelés pour se défendre des Ottomans, la Maona vit paradoxalement sa défaite accélérée par la république elle-même, qui craignait le pouvoir croissant des Giustiniani. Le 2 Mars 1558, un plénipotentiaire des doges, Francesco de Franchi Torturino se rendait à Constantinople pour négocier les droits de l'exploitation de Chio avec les Ottomans et la restitution du reste de la dette de 152 250 lires génoises aux Maonesi. L'action diplomatique des Giustiniani qui s’ensuivit ne leur permit que de retarder leur fin.

Sous prétexte d’une rançon impayée pour l’enlèvement d'un Génois – l’"envoyé" de la Maona avait fui avec l'argent – le Vizir poussa le Sultan à accélérer la conquête de Chio, définie alors par les Vénitiens comme "l’œil droit de Gênes". À ce moment-là, l'île avait une population beaucoup plus nombreuse qu'aujourd'hui, de 120.000 habitants sur une superficie de pas même mille kilomètres carrés, soit une densité exceptionnelle pour l'époque.

C’était en 1564 que les Maonesi ne payèrent pas au Sultan le tribut promis à Amurat II en 1435, année au cours de laquelle il s’était emparé de l’ancienne et de la nouvelle Phocée.

Le 14 avril 1566 une flotte imposante de quatre-vingt galères commandées par le Kapudan pacha Piali (ou "Paoli" selon d'autres sources) arrive au port de Chio qu’il réussit en substance à occuper sans combattre grâce à une ruse. Les Ottomans demandèrent en effet à accoster au passage comme des amis, mais à peine amarrés, ils convoquèrent le chef de la Maona, le podestat Vincenzo Giustiniani, et les douze gouverneurs, et ils les firent emprisonner. Cela n’empêcha pas l'île d’être violemment saccagée, les églises furent toutes détruites ou transformées en mosquées ; bien vite, tout ce qui était beau, fonctionnel et utile à Chio fut pillé ou ravagé. Vincenzo Giustiniani, les gouverneurs et tous les mâles des autres Giustiniani les plus en vue furent conduits à Constantinople. Les plus jeunes de moins de douze ans furent enfermés dans un couvent dédié à Saint Jean-Baptiste. Vingt et un des garçons entre douze et seize ans furent séparés des parents, forcés d’abjurer le catholicisme et de s'engager dans le corps des janissaires. Trois d'entre eux se plièrent a la volonté des Ottomans, se firent circoncire mais réussirent ensuite à s’enfuir à Gênes, embrassant à nouveau la foi ancestrale. Les 18 autres furent tués après d’atroces tortures, le 6 septembre 1566. Ils furent canonisés par l'Église. Une peinture du martyre orne encore le palais des doges à Gênes.

La chute de Chio fut une immense douleur pour le Pape Pie V qui, en communiquant la nouvelle aux Cardinaux du Consistoire, s’interrompit pour fondre en larmes.

Les chefs de la Maona furent internés à Caffa en Crimée, où beaucoup moururent. Les survivants furent libérés par le sultan Selim en 1567 et autorisés à retourner à Chio ou en Italie par l’intercession de Charles IX roi de France, sur prière du Pape Pie V, grâce à son ambassadeur de Guanterie de Grandchamp.

Une garnison s’installa dans la citadelle de Chio et l'île fut occupée, avec défense aux résidents de la quitter sous peine de mort, mais certains privilèges concédés autrefois aux Maonesi leur furent maintenus. On explique ainsi comment en 1594, aussi bien les Giustiniani qui restèrent, que ceux qui retournèrent, réussirent à maintenir un certain rang, mais ensuite, devant le durcissement de l'administration, le plus grand nombre fut contraint de partir. Néanmoins, on trouve encore aujourd'hui des familles de l'île qui portent l'ancien nom des Giustiniani ou des variantes grecques. Il y eut encore un évêque Giustiniani de Chio en 1830 – Ignazio – et un autre avec le même nom en 1879, résidant à Naxos où un certain Giovanni Giustiniani possédait encore en 1670 de vastes domaines.

La plupart des survivants retournèrent à Gênes avec le vain espoir de se voir reconnaître une indemnité pour la perte de l'île, soit 152 250 lires génoises en ce qui concerne la perte de la colonie, plus 70 000 lires génoises pour une autre indemnité et le remboursement des intérêts de 600 luoghi (60.000 lires) que les Giustiniani avaient déposé à la banque de Saint-Georges à Gènes en garantie de la redevance annuelle due à la République. Toutes les réclamations posées par les Giustiniani jusqu'en 1805 furent inutiles. Les espoirs prirent définitivement fin lorsque la banque de Saint Georges fut fermée en 1815.

Les anciens domaines des Giustiniani dans le Dodécanèse, sous le joug ottoman, tombèrent très vite en ruine. Chio fut réduit à un port de voleurs et de pirates. Les quelques Latins qui restèrent furent incarcérés. La plupart de la population restée en place était généralement du peuple. De toutes les églises de l'île, ne restèrent que la chapelle des dominicains et le couvent des franciscains.

Beaucoup de Giustiniani de Chio se distinguèrent aussi en dehors du Dodécanèse. Pendant cette période, Nicolo Banca est consul en 1393 à Constantinople, Ottobono Campi est capitaine de fortune dans la guerre de Vintimille, Francesco Campi est ambassadeur auprès de l'empereur Sigismond, qui l’a nommé comte palatin pour la maison des Giustiniani le 15 mai 1413, comme Gabriele Recanelli le 8 décembre 1417. Antonio Longo est ambassadeur et plénipotentiaire de la république en 1390 et médiateur dans la querelle entre des guelfes et les gibelins. Pietro Giustiniani, amiral de la flotte des Chevaliers de Malte et Grand Prieur de l’Ordre pendant la bataille de Lépante du 7 octobre 1571 ("...Uluj Ali, avec le vent en poupe, attaque par derrière Capitana, le navire amiral des Chevaliers de Malte, commandé par Pietro Giustiniani, prieur de l’Ordre. La Capitana fut encerclée par sept galères. Uluj Ali s’empara de la bannière des Chevaliers de Malte, fit prisonnier Giustiniani, qui avait été blessé sept fois, et prit la Capitana en remorque".... d’après le récit d'un matelot du bateau chrétien "San Teodoro", repris par Gianni Granzotto dans son livre "La bataille de Lépante").

La majeure partie des branches de cette famille noble s’est éteinte au cours des siècles, après 1566, l’année de la conquête ottomane de Chio.

Avec la chute de Chio, Gênes disparaît du nombre des puissances coloniales, dans le prolongement du déclin amorcé en 1475, mais elle retrouve une prospérité inattendue au lieu de la décadence. Non dans le domaine politique mais dans celui des aventuriers. Au XVIe siècle, les navires et les matelots ligures peuvent rivaliser avec les Grecs du XIXe siècle que l’on rencontrait sur toutes les mers et dans tous les ports étrangers plus facilement que chez eux. Avec un fort accroissement de son activité marchande, Gênes sut s'affirmer depuis lors dans cette nouvelle activité destinée a s’imposer dans les siècles à venir : la banque.

Les colonies commerciales perdirent la fonction de tête de pont vers un monde qui a acquis désormais la sécurité et le développement spontané, où les Latins sont maintenant vus comme des concurrents plutôt que comme des partenaires. Les Vénitiens maintinrent leurs possessions au Levant plus longtemps que les Génois, grâce essentellement à la plus grande présence de colons vénitiens, à la différence de Gênes qui ne réussit jamais à favoriser une forte émigration vers les colonies.

 5. LA VIE ADMINISTRATIVE DES GIUSTINIANI A CHIOS     

La relation entre la république de Gênes et les Giustiniani fut codifiée de sorte que la Maona assumait toutes les tâches de l'administration et de la défense du territoire de Chio, des deux Phocèe et de quelques îles du groupe des Sporades : Samos, Icarie, Eussa, Santa Panagia, pendant que la souveraineté générale, les rapports avec les États étrangers, la juridiction civile, y compris la nomination du podestat et des commandants de forteresse, restaient dans les mains de la république après accord préalable de la Maona.

Les revenus commerciaux et fiscaux seront tous dévolus à la Maona jusqu'à la résorption de la dette contractée par la république, évaluée en première instance à 200 000 lires génoises qui auraient dû être remboursées en vingt ans, mais ne le furent en fait jamais.

Dans l’acte d'investiture de la Maona, la république avait introduit une série de considérations qui justifiaient l'occupation de ces territoires sur la base de la nécessité de défendre la chrétienté contre les Ottomans.

La Maona mettait donc en avant son activité d'exploitation et de contrôle de l'île de Chio en assignant diverses tâches de gouvernement local à ses fondateurs qui avaient tous pris le nom de Giustiniani.

Depuis 1348, les Maonesi avaient commencé à attirer les colons de Gênes dans l'île en leur concédant gratuitement des maisons et des vignobles, à condition de venir y habiter, en s’engageant à y résider en permanence et de ne pas s'absenter plus d'un an uniquement pour des raisons liées au commerce. Cette politique reprenait les plans de Benedetto Zaccaria qui fut le premier à chercher à faire de Phocée une ville génoise plus que grecque.

L'accroissement de la population laborieuse recrutée sur place et l'afflux d'esclaves et d’autres fugitifs en provenance des régions envahies par les Ottomans avaient déçu les intentions du premier maître des lieux. Maintenant, le fort sentiment national de la population grecque rendait nécessaire le renforcement de la population génoise.

Les Giustiniani, contrairement aux premiers Génois qui attiraient des colons mais n’allaient pas eux-mêmes habiter sur place, établirent presque tous leur résidence à Chio, où ils se répartissaient les charges administratives et les terres ou bien exerçaient leur activité de commerce et de crédit. Mais en enfonçant des racines plus profondes dans les possessions d’outre-mer, les Giustiniani s’y acclimatèrent et se mirent de plus en plus à se comporter comme des Grecs et comme des princes indépendants.

Les Maonesi retiraient des bénéfices élevés de leurs possessions. Les sources de l'époque estiment les revenus globaux annuels de Chio à soixante mille lire génoises, une autre à soixante dix mille florins, une autre encore à cent vingt mille hyperpres. Compte tenu de la diversité de la valeur des monnaies, on peut dire que les différences entre les trois évaluations ne sont pas grandes, la plus élevée est celle en hyperpres que l’on peut comparer à environ quatre-vingt mille lires génoises.

Ce n’est pas seulement le mastic qui fait la richesse de Chio, le sol fertile permet de bonnes cultures de vignobles, agrumes et d’amandes ; les carrières de marbre produisaient pour l'Asie mineure ; le commerce de transit fut toujours florissant, en particulier après que les îles septentrionales soient tombées aux mains des Ottomans. On doit ensuite ajouter l'industrie de la soie, importée de Gênes non sans d’âpres disputes avec la mère patrie dues au corporatisme poussé des maîtres de la soie qui ne voulaient pas que les secrets de leur art franchissent les murs de la cité. Une chronique de l'époque raconte que le gouvernement de Gênes fit emprisonner trois artisans soyeux qui avaient émigré en cachette à Chio en 1483. La même république de Gènes ne concéda l’ouverture d’ateliers qu’à Caffa mais pas à Chio. En 1523, le doge Antoniotto Adorno enjoignit aux Maonesi de lui livrer certains soyeux émigrés à Chio, mais les Giustiniani répondirent en éludant et en se plaignant que "l'art avait désormais commencé à étendre ses ailes dans cette île, avec beaucoup de perdrix (?) de la patrie". Ceci n’empêchait pourtant pas que les maîtres génois et lucquois, attirés par de meilleures perspectives de profit émigrent dans le monde entier, en faisant concurrence à la mère patrie.

Quelques historiens, comme Sombart, ont rapproché les grandes propriétés foncières de Chio des plantations coloniales, où l’on fait cultiver par des esclaves des denrées tropicales destinées à l'exportation, même si quelques-uns savaient que les Grecs n’étaient pas des esclaves mais des serfs attachés à la glèbe ou à moitié libres, parfaitement semblables à ceux des campagnes féodales italiennes. Les Génois superposèrent à cette hiérarchie existante leur suzeraineté comme les Francs en Italie, mais l’archonte[1] restait archonte et le paroico restait paroico. Du reste, même la considérable affinité des races – grecques, italiennes, et moyen-orientales – empêchaient que ne s’établisse un régime si peu que ce soit semblable à celui des futures plantations des Indes occidentales et orientales.

Du point de vue administratif, voyons maintenant comment était structurée la Maona des Giustiniani.

La convention avec la vieille Maona de 1347 resta en pratique en vigueur jusqu'en 1566. La haute autorité civile et judiciaire des îles était réservée à Gênes qui nommait pour exercer ces droits un podestat, le seul en Orient dépendant directement de Gênes, alors que tous les autres dépendaient de celui de Pera. Un tel podestat était choisi dans une liste de 20 popolani établie par Gênes et présentée à la Maona qui à son tour en sélectionnait six. Gênes choisissait parmi les six le podestat qui restait en fonctions pendant un an. À partir du 24 janvier 1558, le mandat passa à quatre ans. En 1529, le droit de choisir fut restreint aux nobles inscrits dans les 28 "alberghi" de la réforme doriane de 1528.

Au podestat était subordonné le "castellano de Chio", commandant de la citadelle et de la milice de l'île, également nommé par Gênes sur une liste de six popolani choisis par la Maona. Le podestat et son conseil choisissaient les podestats et les commandants de forteresse des deux Phocée.

Le "dominio utile" (l’usufruit)de l'île revenait aux Giustiniani, associés dans la Maona.

Nous avons rappelé que la (nouvelle) Maona naquit le 14 novembre 1362, elle est renouvelée en tant qu’"albergo" le 21 janvier 1373 pour 20 années supplémentaires, le 10 février 1391 pour encore 25 ans, puis 29 ans jusqu’en 1442. Mais le 21 septembre 1428, elle devint perpétuelle.

Le nombre initial de parts était de "12 2/3", chaque "action" (duodénum) était divisée en 3 (gros carats) ou en 24 parties plus petites (petits carats), pour un total de 38 gros carats et 304 petits. Tous ces titres étaient négociables et transmissibles aux héritiers.

Le nombre global des membres de la Maona Giustiniani était de plus de 600 en 1566. Voici la liste des familles qui possédaient les "12 2/3" parts des "actions " en 1497 :

     1)               1 duodénum aux CAMPI

     2)               1 duodénum aux HAMPI

     3)               1 duodénum aux ROCCA

     4)               1 duodénum aux GARIBALDI

     5)               1 duodénum aux BANCAE

     6)               1 duodénum aux RECANELLI

     7)               1 duodénum aux LONGO

     8)               8 petits carats aux SAULI
8 petits carats aux GIUSTINIANI
6 petits carats aux ADORNO

     9)               19 petits carats aux LONGO
1 petit carat aux ADORNO
3 petits carats aux CAMPI

  10)               20 petits carats aux PATERII
1 petit carat aux GIUSTINIANI

  11)               18 petits carats aux FURNETTO
1 petit carat aux ADORNO
1 petit carat aux CICERO
4 petits carats aux SAULI

  12)               22 petits carats aux FURNETTO
2 petits carats aux PATERII

  13)               6 petits carats aux PATERII
6 petits carats aux FRANCHI
6 petits carats aux DE PAOLO
6 petits carats aux GIUSTINIANI

Les décisions "fondamentales" étaient prises sur la base des 13 parts originales La Maona avait un " grand conseil " et "un petit conseil des quarante". Chacune des actions avait une voix. Chaque petit carat représentait 1/24 de voix. Le quorum pour les "nouveautés" était de neuf. Il était de dix pour abroger les décrets en vigueur à Chio. Sur la base de la division en treizièmes, on répartissait non seulement les profits, mais aussi les châtellenies, les capitanats, les secrétariats et tous les emplois publics.

Les charges étaient attribuées par tirage au sort sur un programme pluriannuel, aucun Maonese ne pouvant occuper la même charge pendant deux années consécutives.

Au XVe siècle, alors que les affaires de la Maona n’étaient pas très florissantes, cette pratique fut remplacée par une véritable "vente" des charges au mieux-disant, mais le 24 novembre 1495, on rétablit l'ancien usage du tirage au sort pour une série de 26 ans.

Outre quelques "conseillers" et le podestat, les intérêts des Giustiniani étaient représentés à Gênes par six gouverneurs (portés à neuf le 19 novembre 1476) qui exerçaient leur fonction par roulement.

L’ancienne Phocée inféodée à la Maona était gouvernée par les Gattilusi de Lesbos.

La nouvelle Phocée eut divers gouverneurs : Pietro Recanelli (1364-1391), Raffaello Paterio (1391-1395), Tomasso Paterio (1395-1405), Giovanni Adorno (1405-1424), Percivalle Pallavicini (1425-1427), Enrico Giustiniani-Longo (20/9/1427-1437), Francesco Drapperio (1437-1447) et enfin le dernier gouverneur Paride Giustiniani-Longo, fils d'Enrico de 1447 a 1455, année de la conquête ottomane.

Les finances, sauf une brève période au XVe siècle, furent toujours très florissantes, à même de payer aussi bien les tributs à Gênes qu’aux Ottomans, en plus de garantir un important revenu annuel.

Les troupes de l'île oscillaient entre 300 et 800 hommes, plus un certain nombre de mercenaires.

Outre la citadelle, 36 sites étaient défendus par des fortins ou forteresses. Les quinze châteaux-forts de Chio autres que la citadelle se trouvaient à Colla, Calomoti, Cardamile, Lamista, Late, Lecovere, Melanete, Pannuccelli, Perparea, Pigri, Pitio, Sainte Hélène, Saint Julien, Valisso (le plus fortifié) et Vigo.

L'île de Chio avait son propre évêque autonome, le premier fut Manfred de Coronato en 1363. Les suivants furent tous ou des Pallavicini ou des Giustiniani jusqu'en 1879 (Ignazio Giustiniani).

L'île avait de nombreuses églises, couvents et hôpitaux. Il y en avait aussi à Rome pour les Maonesi indigents, fondé en 1530 par l'évêque Benedetto Giustiniani.

La population de Chio au XVe siècle oscillait entre 90 000 et 120 000 habitants, en accroissement constant du fait des chrétiens fuyant les sérails turcs ou rachetés par la Maona.

L’élite, la première classe, étaient les Giustiniani avec leurs familiers.

Ensuite venaient, comme seconde classe, les "Burgenses", d’origine latine, presque tous Génois, généralement commerçants ou petits propriétaires fonciers. Pour parvenir à des postes importants, leur unique voie était de s'apparenter aux Giustiniani (parmi elles, les familles Paterio, Navone, Sanginbene, Campanaro, Ciprocci, Cavallini, Coresio). La troisième niveau comprenait les "Archontes", nobles grecs, les plus tournés vers les petits commerces, de sang. La quatrième, tous les Grecs dédiés aux travaux serviles, dans les carrières de marbre, dans les plantations de mastic et dans l'agriculture. La cinquième, les juifs, consacrés généralement à l'usure, contraints de vivre au ghetto (ils ne pouvaient pas en sortir librement pendant la semaine sainte) et de porter un chapeau jaune, en plus de faire à certains moments de l'année acte de sujétion et de soumission aux Giustiniani. La sixième classe regroupait les étrangers ne résidant pas dans l'île.

En ce qui concerne l'état d'esprit des membres de la Maona, on remarque qu'ils ne se considéraient pas comme des colons provisoires destinés à revenir dans leur patrie aussitôt atteinte la prospérité économique. Au contraire, ils se considéraient citoyens de Chio à tous égards, sans oublier cependant leurs origines, si bien que leurs maisons portaient les armes Giustiniani.

Les Giustiniani employaient pour les écritures locales une curieuse langue, le grec écrit en caractères latins, que les Grecs appelaient "franchiotico". Des exemples de cette langue se trouvent encore dans quelques instituts religieux de l'île.

Voici la liste des podestats de Chio, d’après les documents notariaux parvenus jusqu’à nous (entre parenthèses la période de mandat) :

      1)               MELIANO ADORNO (1347-1348)

     2)               NICCOLO’ CICOGNA (1358) - ANGELO ARCHERIO (1379-1380)

     3)               NICCOLO’ MUSCA (1380-1381)

     4)               DANTE DI GABRIELE DA GUBBIO (1381)

     5)               BARTOLOMEO DE CURIA (1388)

     6)               ANSALDO DI ANSALDO (1392)

     7)               NICCOLO’ FATINANTI (1395-1396)

     8)               FRANCESCO GIUSTINIANI DE GARIBALDI (1398)

     9)               LIONELLO MARUFFO (1399)

  10)               BARTOLOMEO ROVERINO (1401)

  11)               UGHETTO DE MARTINO (1402)

  12)               GIOVANNI DA ZOAGLI (1402)

  13)               DEXERINUS DE PODIO (1403)

  14)               BATTISTA VIGNOSO (1404)

  15)               LEONARDO TARIGO (1408)

  16)               NICCOLO’ BRANCALEONE (1409)

  17)               BARNABA DE FRANCHI (1410)

  18)               PIETRO DE FRANCHI OLIM DE MAGNERRI (1412)

  19)               NICCOLO’ DE BLASIA (1425)

  20)               LUCHINO DE GOANO (1426)

  21)               LEONARDO GIUSTINIANI (1427)

  22)               TOMMASO DI ANDREA GIUSTINIANI FURNETO (1427)

  23)               ANDREA DE CORSIO (1431)

  24)               TADDEO DA ZOAGLI (1437)

  25)               LANCILLOTTO GIUSTINIANI (1442)

  26)               ANDREA DE CORSIO (1443)

  27)               FRANCESCO RE (1444)

  28)               ANTONIO CARENA (1444)

  29)               RAFFAELE MONTALDO (1445)

  30)               MANUELE RAPALLO (1447)

  31)               BATTISTA GIUSTINIANI (1448)

  32)               ANDREA DE FRANCHI TORTORINO (1449)

  33)               BARTOLOMEO DA LEVANTO (1450)

  34)               CRISTOFORO DA CORVARA (1451)

  35)               GALEAZZO GIUSTINIANI LONGO (1451-1452-1454)

  36)               GABRIELE DA RAPALLO (1454)

  37)               GALEAZZO GIUSTINIANI LONGO (1454)

  38)               GABRIELE DA RAPALLO (1455-1456)

  39)               PIETRO GIUSTINIANI DE CAMPIS (1456-1457)

  40)               BATTISTA LEONARDO (1457-1458)

  41)               GREGORIO GIUSTINIANI (1458)

  42)               TOMMASO GIUSTINIANI DE FURNETO (1460)

  43)               PIETRO GIUSTINIANI (1461)

  44)               GUGLIELMO MARUFFO (1464)

  45)               ANTONIO DE FRANCHIJULA QD.PETRI (1465)

  46)               BATTISTA GIUSTINIANI (1467)

  47)               GIOVANNI FRANCESCO GIUSTINIANI (1468)

  48)               ALESSANDRO GIUSTINIANI (1468-1469)

  49)               FRANCESCO PALMARIO (1468-1469)

  50)               ANTONIO MONTALDO (1470-1472)

  51)               GIOVANNI FRANCHI (1475)

  52)               LEONARDO GIUSTINIANI (1476)

  53)               LEONARDO DI PARIDE GIUSTINIANI LONGO (1477)

  54)               RAFFAELE DI TOMMASO GIUSTINIANI (1479)

  55)               EDOARDO DI FRANCESCO GIUSTINIANI FURNETO (1480)

  56)               STEFANO BRACELLI (1482)

  57)               LORENZO GIUSTINIANI BRANCA (1483)

  58)               TOMMASO PRESENTA (1484)

  59)               OBERTO FOGLIETTA (1486)

  60)               LEONARDO MARUFFO (20 Février 1487)

  61)               BATTISTA GIUSTINIANI DE CAMPIS (1487-1488)

  62)               LEONARDO MARUFFO (1488)

  63)               GIOVANNI BATTISTA DI TOMMASO GIUSTINIANI (1491)

  64)               LUCA DI LANCILLOTTO GIUSTINIANI MONEGLIA (1495)

  65)               DOMENICO ADORNO (1496)

  66)               DEMETRIO GIUSTINIANI (1496)

  67)               GEROLAMO DE GOANO (1499)

  68)               NICCOLO’ DI SILVESTRO GIUSTINIANI CAMPIS (1504)

  69)               GIOVANBATTISTA DI BRIZIO GIUSTINIANI FURNETO (1507)

  70)               GIACOMO GIUSTINIANI (1511)

  71)               NICOLA DI ANDREOLO GIUSTINIANI (1512)

  72)               AMBREOGIO CAFFAROTO (1514-1515)

  73)               MATTEO DE FRANCHI BULGARO (1516)

  74)               BARTOLOMEO GIUSTINIANI QD.IOHANNIS (1517)

  75)               GIOVANBATTISTA DI LORENZO GIUSTINIANI NEGRI (1518-1520)

  76)               FRANCESCO DI LORENZO GIUSTINIANI BRANCA (1520)

  77)               GIOVANBATTISTA DI BRIZIO GIUSTINIANI (1521)

  78)               BERNARDO GIUSTINIANI QD.BAPTISTE (1522)

  79)               BALDASSARRE DI BATTISTA ADORNO (1527)

  80)               NICOLA DI VINCENZO GIUSTINIANI GARIBALDI (1528)

  81)               DOMENICO DI GIO .ANTONIO GIUSTINIANI DE CAMPIS (1529)

  82)               BERNARDO GIUSTINIANI (1530)

  83)               NICCOLO’ SAULI GIUSTINIANI (1533)

  84)               ALESSANDRO GRIMALDI PATERIO (1534)

  85)               DOMENICO GIUSTINIANI QD.ANTONII (1534)

  86)               NICOLA DI ANDREOLO GIUSTINIANI (1538)

  87)               LORENZO GIUSTINIANI (L-I) (1548)

  88)               NICOLA GIUSTINIANI (N-I) (1548)

  89)               FRANCO SAULI GIUSTINIANI (1552-1553)

  90)               GIOVAMBATTISTA GIUSTINIANI (1558)

  91)               VINCENZO GIUSTINIANI GARIBALDI (1562-1566)

 6. LES MONNAIES A CHIOS PENDANT LA PRÉSENCE DE GIUSTINIANI  

Les Giustiniani, comme les autres familles gouvernant les colonies du Levant, étaient autorisés par la République Génoise à battre la monnaie.

Souvent traitées de monnaies de facture rustique, mal frappées et conservées, difficiles à retrouver, en cuivre, en argent de divers alliages plus ou moins riches et même en or imitant les ducats vénitiens qui avaient la plus large diffusion en Orient. Dans les îles du Levant, il était difficile de rencontrer des monnaies génoises, soit parce que les colonies ligures étaient très limitées et subordonnées à une suzeraineté locale, soit parce que des monnaies byzantines et arabes étaient également présentes en grande quantité dans la région.

À Chio, on trouve même les monnaies émises par d’autres Génois des îles voisines, comme les Gattiluso de Lesbos, où on trouve souvent représentées les armes des « Paleologues" – une croix cantonnée de quatre signes semblables à un "B" avec leurs armes ou un grand aigle à deux têtes avec les initiales de celui qui commandait à ce moment précis dans ce lieu déterminé. Ces monnaies étaient en cuivre (denier) ou en or (ducat). Les Zaccaria qui précédèrent les Giustiniani à Chio émirent aussi des monnaies propres, pour un total de 10 types de monnaie, comme le "quart de ducat d'or" qui reproduisait au recto l’écu de la famille et l’inscription "M7B ZAChARIE" et au verso la croix l’inscription "CIVITAS SYI", d’environ 0,9.gr d'or, et 13 mm de diamètre. Et le "demi gros d'argent" qui reproduit à l’endroit la croix et l’inscription écrite "M7B ZAChARIE" et à l’envers le château à trois tours et l’inscription "CIVITAS SYI", d’environ 0,7 grammes d'or et 18 mm de diamètre. Après la conquête de Chio par Vignoso en 1346, commença la frappe de monnaies dont le motif s’inspirait des fleurs de lis angevines et de leurs factions, et dans lesquelles apparaissaient aussi des références à la république de Gênes : à l’endroit le doge et l’inscription "DVX JANUE QUENDEUSPTA", à l’envers la croix et l’inscription usuelle des monnaies génoises "CVNRADVS REX ROMANORVM". Rappelons le « gigliato » (d’environ 3,5 gr d’argent et 28-29 mm de diamètre) et sa fraction « le quart de gigliato » (environ 0,8 gr d’argent et 16-17 mm de diamètre).

Après 1390, en pleine période Giustiniani, se produisit un changement d’espèce monétaire. Au lieu de l’inscription "DVX IANUE QUENDEUSPTA", réapparut comme du temps des Zaccaria l’inscription "CIVITAS SYI".

Au XVe siècle furent aussi frappées à Chio des monnaies d'or qui imitaient les ducats vénitiens abondants et cotés, comme le "ducat d'or" frappé lorsque Filippo Marie Visconti duc de Milan était seigneur de Gênes (1421-1436) avec côté face le doge et l’inscription " D:MEDIOLANI", ou aussi celui de la période où Charles VII roi de France fut Seigneur de Gênes (1458-1461), sur lequel étaient gravées les inscriptions "COMUE IANUE" et "S.LAURENTI". Au pied, une lettre "S" initiale de "Scio". Le gouvernement Giustiniani est illustré par une série de monnaies, principalement en cuivre, dans lesquelles sont reproduites les armes de famille : le château hexagonal à trois tours surmontées de l'aigle impérial tandis qu’apparaissent les initiales du podestat de île, comme par exemple "N.I." relatives à Nicola Giustiniani, qui gouverna l'île à plusieurs reprises dans les années 1504-1512-1528-1538. Ou encore les lettres "D.I." relatives à Domenico Giustiniani en 1529 ou "F.I." relatives à Francesco de Lorenzo Giustiniani Banca en 1520 ou "L.I." pour Lorenzo Giustiniani Banca en 1548. Il y a bien eu 42 espèces de monnaies battues par la Maona Giustiniani, y compris celles spécifiquement au nom des Giustiniani et quelques pièces définies comme des "monnaies - médailles" avec des motifs semblables à ceux décrits, frappées postérieurement à la chute définitive de Chio aux mains des Turcs en 1566.

Un document du Génois Battista de Luco fait référence à certains taux de change en l'an 1472.

Un ducat ou un florin d'or de Chio vaut 80 harati (ou aussi karati, karatti ou charati) de 0,75-1,00 gramme et de six onces d'argent sur douze. Ou bien dans la période 1348-1343 nous avons : 1 florin égal à 10 gigliati. Un gigliato à seize deniers, un denier est égal à quatre livres tournois. Donc 2 deniers sont égaux à 8 tournois, égaux à un harato. Un ducat d'or de Chio vaut 816 deniers tournois qui, rappelons-le, était d'argent.

Toujours sur le même document nous avons un taux de change entre les ducats de Venise et ceux de Chio daté de 1472 : 64 ducats d'or de Venise sont égaux à 80 ducats d'or de Chio et 7 gigliati. Ou bien 1 ducat d'or de Venise vaut 85,68 harati, soit environ à 1000-1070 tournois.

La valeur des deux monnaies n'est pas de toute façon constante dans le temps. En 1466, un ducat vénitien vaut 1,25 fois celui de Chio. En 1470 il en vaut 1,31.

Pour vérifier la datation des frappes, il est aussi nécessaire de vérifier comment est écrit le mot "CHIO".

Depuis les premiers jours de la présence des Génois à Chio, on employa les inscriptions "SIO", "CHIO" ou "ES". En 1359, nous commençons à trouver sur les actes le mot "SYI". En avril 1403, nous trouvons la graphie "CIOS", voire "SYO", ou encore "CHII".

Aujourd'hui, les Italiens traduiraient phonétiquement la graphie "CIOS" par "Chio" mais ce n’était pas le cas au Moyen Âge où le "ch" correspondait au "X" grec. Au delà de la phonétique, le "CIOS" majuscule se transcrit en "Chii"minuscule.

Au Moyen Âge, le Levant était contrôlé par diverses puissances économiques : les Francs, les Vénitiens, les Génois et les Turcs qui cohabitaient plus ou moins pacifiquement au moyen d’accords, de conventions mais aussi avec des occupations arbitraires et des guerres.

En Occident, la réforme monétaire se basait sur les règles fixées par Charlemagne sur les poids et les mesures. La pièce de monnaie qui en sortit devait satisfaire l’équation suivante : 240 pièces de monnaie = une livre.

Avec la désagrégation de l'empire, chaque pays ou royaume devra s’adapter sur la base de sa livre particulière à des conventions plus régionales. Par conséquent, le contenu des pièces de monnaies était aussi diversifié que les livres.

Plus tard, et aussi sous l’influence de l'empire byzantin, la monnaie de compte, qui devait de toute manière être en relation avec le contenu en métal des monnaies en circulation, fut le "ducat d'or" et le "ducat d'or de Chio", plus généralement appelé "hyperpre" dans ses unités plus petites ("tournois" par exemple ou "harati").

Le hyperpre de la Maona de Chio apparaît dans tous les actes notariaux pendant toute leur domination à Chio et même parfois sous la domination ottomane. La dernière mention connue est de 1725.

Mais dans quels secteurs était employée la monnaie de compte ? Elle était utilisée surtout pour la comptabilité du commerce du mastic, des carrières d'alun de Phocée, du sel et de la pêche, mais elle était également utilisée par les indigènes ou au moins par ceux qui n’étaient pas membres de l’administration génoise, pour les autres produits comme le vin, l’huile, la pêche ou les étoffes, mais aussi pour les comptes de quelques services internes comme l'agriculture et également pour la constitution des dots, les ventes d'immeubles, les locations, les ventes aux enchères et les taxes.

La première structure observée de la monnaie de compte "hyperpres" est de 1381. En la mettant en relation avec d’autres documents ultérieurs, on trouve cette équation :

1 hyperpre = 24 Harati = 288 deniers tournois

En 1349 un denier en monnaie de compte équivaut à un denier tournois en monnaie effective. Parallèlement à la monnaie de compte "hyperpre" de 1348 nous avons aussi le "florin". Dans un acte de 1444 nous trouvons l’équation suivante :

1 florin = 10 gigliati = 160 deniers

Était également employé dans les comptes le "ducat d'or" mais seulement à partir de 1444.

Sur ce sujet: MONNAIS INEDITES DE CHIO di P. Lambros, Parigi 1877

 7. LE COMMERCE DU MASTIC A CHIOS 

Comme nous l’avons plusieurs fois rappelé, le rôle principal de la Maona Giustiniani était d'exploiter le mastic de l'île de Chio.

La Maona opérait dans une véritable situation de monopole. Aussi bien, une partie des profits était consacrée à la défense de l'île, selon des quotes-parts précises établies à l’année.

Nous avons vu que divers contrats d'exploitation ont été passés avec le Gouvernement de la République génoise. De même, d’autres contrats ont été conclus avec des entreprises et des commerçants de toute la Méditerranée orientale : Chypre, Rhodes, Constantinople, Alexandrie, les ports de Grèce et de Syrie.

Pour s’occuper de la vente, de véritables agents exclusifs travaillaient au service des Giustiniani, qui parfois, pour maintenir le prix du mastic, brûlaient les excédents lorsque il y avait surproduction.

S’agissant d’un sujet vital, les peines pour les voleurs de mastic étaient sévères. Par exemple, pour le vol de moins de 10 litres de mastic (équivalant à 2 kilos de produit), on prévoyait une forte amende et pour qui n'était pas en mesure de payer, l'amputation d'une des deux oreilles. Pour le vol de 10 à 25 litres, le marquage au fer rouge sur le front. Entre 25 et 40 litres, la coupure du nez et de l'oreille droite. Au-delà de 200 litres ou en de cas de récidive, la pendaison. Des peines analogues étaient aussi prévues pour les receleurs de lots de mastic volés.

Des récompenses étaient prévues pour les informateurs. Kyriakus Pitsicoli, écrivain génois de l'époque, rapportait un proverbe "si vous désirez vivre à Chio, protégez le mastic et ne le volez jamais".

Dans l'île, une administration était bien organisée avec des employés chargés de stocker le produit, des comptables et des affréteurs pour son transport. Les activités d'extraction et de raffinage du produit étaient supervisées par le pouvoir.

 8. LA DESCENDANCE DES GIUSTINIANI  DE 1566 A NOS JOURS

Avec la chute de Chio en 1566 et la libération des survivants internés en Crimée par les Ottomans, quelques Giustiniani revinrent dans l'île d’autres en Italie ou en Grèce.

Les familles originaires de la Maona en 1362 restèrent presque toutes dans l'albergo jusqu'en 1566. C’étaient : les Caneto de Lavagna (sortis en 1369), Campi, Arangio (sortis en 1413), S. Teodoro (sortis en 1369), Adorno, Banca, Longo, Forneto, Negro, Oliverio et Garibaldi. Auxquels s’ajoutent des Caneto et des Arangio en 1369, Rocca, Fregosi, Recanelli et Forneti. Au cours du temps, beaucoup d'autres familles furent inscrites à la Maona et prirent le nom de Giustiniani : Castro, Pagano, Moneglia, Ciprocci, Mari, Paterio, Maruffo, Ughetti. D’autres en firent partie pour de brèves périodes.

Les branches Giustiniani qui retournèrent à Rome furent celles des Banca et des Negro qui entrèrent avec beaucoup de facilité à la cour pontificale pour occuper une place digne des gloires passées. À cela contribua sans doute la haute position de Vincenzo Negro Giustiniani qui, en 1558, non seulement était déjà général des Dominicains à seulement 38 ans, mais encore quelques années après, se rangeait parmi les participants les plus influents au Concile de Trente. Fait cardinal par Pie V, quelques sources le présentent même comme susceptible d’être pape au conclave de 1572 qui vit l'élection de Grégoire XIII Boncompagni.

Lorsque Giuseppe Giustiniani fut forcé en 1566 de quitter l'île de Chio, il se tourna vers son beau-frère (puisque frère de sa femme Geronima. Plus qu'un exil, ce fut une véritable fuite d'abord à Malte, ensuite à Messine, Naples, Civitavecchia et enfin à Rome où il arriva avec de grandes richesses et ses cinq enfants : deux garçons, Benedetto et Vincenzo, et trois filles : Angélique, Virginia et Catarina, qu’il maria à des nobles et en les dotant généreusement : la première à la maison Bandini, la deuxième à la maison Monaldeschi, la troisième à la maison Massimi.

À Rome, avec l'aide de son beau-frère, il acquit grâce à son activité la notoriété dans la location ou les baux immobiliers, et il réussit à augmenter prodigieusement son patrimoine. L'expérience de plusieurs générations adonnées au commerce et au change, solidement acquise par Giuseppe, ne pouvait pas passer inaperçue dans la Rome dynamique de Grégoire XIII.

En 1590, il acquit à Rome le palais qui porte encore le nom de la famille, et deux villas situées, l’une dans le quartier de la Porte Flaminia, qui n’existe plus mais dont le porche était implanté à l'entrée de la Villa Lazzaroni toujours à Rome (sur lequel figure l'inscription de Giuseppe Giustiniani), et l’autre à Laterano, considérée comme un joyau de l'architecture romaine (Villa Giustiniani-Massimi). En outre, il acquit le 12 juin 1595 une grande propriété à Bassano dans le diocèse de Sutri des Anguillara.

Benedetto (Chio 1554 - Rome 1621), son fils aîné, étudia le droit à Pérouse, puis à Padoue et à Gênes et, en quelques d'années, il intégra l'administration pontificale. Sixte V le nomma en 1585 trésorier général et le 17 décembre 1586 cardinal à seulement 32 ans. Il joua un rôle significatif dans la politique de l’Église de cette période : on se rappelle en particulier son action pour rapprocher le roi de France Henri IV de Bourbon de l'Église catholique. De 1606 à 1611, il fut légat pontifical à Bologne, remplissant sa charge avec fermeté et rigueur, comme l’attestent les sources contemporaines.

Le second fils de Giuseppe, Vincenzo (Chio 1564 - Rome 1638), hérita de son père le fief de Bassano et il en fut fait marquis par Paul V le 22 novembre 1605. Connaisseur des arts, doué d’une fine intuition, il manifestait beaucoup d’éclectisme, une grande passion pour les sciences et une profonde originalité, avant tout humaine. Il épousa les courants les plus innovateurs de la peinture de son temps, en soutenant dans son rôle de mécène la diffusion d’un réalisme inspiré par le Caravage et montra en plus d’une d'occasion une ouverture aux nouveautés que peu de ses contemporains savaient partager.

En même temps, les frères Benedetto et Vincenzo cultivaient une vive passion pour l'ancien, et accumulaient une extraordinaire quantité de sculptures et de bas-reliefs qui envahissaient littéralement tous les espaces de leurs résidences. La collection de famille, dispersée depuis la fin du XVIIIe siècle, s’enorgueillissait rien qu’en œuvres d'art de "1867 sculptures et 820 peintures parmi lesquelles quinze Caravage". Vincenzo Giustiniani était tellement fier de sa collection qu’il se préoccupait de la protéger aussi après sa mort. Dans son testament, il confiait les œuvres à ses héritiers et successeurs avec des clauses sévères et des menaces morales pour que la collection ne soit pas dispersée ou encore moins aliénée. Malgré ces précautions, toutefois, quelques pièces de la collection, surtout des sculptures, furent vendues dès le XVIIIe siècle, tandis qu'une partie de la collection de peintures fut transportée à Paris et vendue au début du XIXe siècle.

Vincenzo était une figure emblématique de la culture humaniste a un moment où celle-ci était désormais en déclin. Rome vécut une sorte de seconde Renaissance dans les premiers vingt-cinq, trente ans du XVIIe siècle et Vincenzo en fut le très haut représentant.

En 1606, Vincenzo entreprit un voyage dans le nord de l’Europe, en passant par l'Allemagne, qui le mena jusqu’en Angleterre et donc, sur le chemin du retour, en France. Les étapes de son itinéraire, les lieux et les rencontres qui le frappèrent le plus sont rapportés dans son journal qui en donne le compte rendu. Peut-être l'unique voyage d'un Italien dans l’Europe du XVIIe, alors qu’à l'époque il était très fréquent que toute la noblesse continentale fasse le contraire.

La nature éclectique de ses intérêts apparaît dans l'inventaire rédigé en 1638, de sa bibliothèque la "libraria", qui comprend environ 376 œuvres, auxquelles doivent être ajoutés vingt autres volumes conservés dans le palais de Bassano, dans lequel sont recensés des livres d'histoire, de philosophie, mais également d'astrologie, de médecine et de divination.

Vincenzo Giustiniani s'occupait aussi de bienfaisance, par des legs importants à des œuvres parmi lesquelles certaines sont encore aujourd'hui actives comme la "Société des XII Apôtres", en recommandant particulièrement d’aider les réfugiés de Chio de différentes manières, parmi lesquelles certaines passeraient aujourd'hui pour anachroniques comme la dot aux "vieilles filles chiotes vierges".

Vincenzo Giustiniani, meurt à l'âge de 67 ans sans héritier légitime. Les trois enfants qu’il a eus de sa femme Eugenia Spinola : Giovanni Girolamo, Girolama et Porzia étaient morts en bas âge. N’ayant pas de neveux, son unique frère mâle légitime étant le cardinal Benedetto, il décida, le 22 janvier 1631, de nommer héritier universel par testament olographe Andrea Giustiniani, fils de Cassano Banca, qui s'était transplanté de Chio à Messine. Quelques années après la mort de Vincenzo survenue en 1638, Andrea, par sollicitude pour Orazio Giustiniani alors évêque de Montaldo, épousa Donna Marie Pamphili, fille de Donna Olimpia et nièce du Cardinal Gio Batta Panfilio, futur Innocent X qui le nomma prince assistant au trône pontifical le 21 novembre 1645. Une telle élévation eut d’importantes conséquences pour la famille Giustiniani, tant en honneurs civils qu’ecclésiastiques. Les Giustiniani furent bien proches du trône de Pierre d’abord avec le Cardinal Orazio, et davantage encore deux siècles plus tard, avec le Cardinal Giacomo, si le soir du 6 janvier 1831, vingt deuxième jour du conclave consécutif à la mort de Pie VII, le cardinal espagnol Marco y Catalan n'avait pas reçu de l'ambassadeur d'Espagne, Labrador, le veto formel de cette cour à l’égard du cardinal Giustiniani sur le nom duquel s’étaient portés beaucoup de votes.

À Andrea Cassano Giustiniani succéda Carlo Benedetto I, puis Giovanbattista Vincenzo II qui mourut en 1754, puis Girolamo (1714-1757) qui épousa en 1754 Anne Marie Ruspoli, puis à la septième génération Benedetto II, mort après ses fils Lorenzo et Vincenzo III. La grandeur de la famille Giustiniani qui avait duré tant de siècles s'éteignait lorsque l'Europe sortait des guerres napoléoniennes. Les richesses considérables héritées des aïeux étaient dispersées, alors que ses créanciers étaient désormais nombreux, la branche des Giustiniani Negro s'éteignait, le titre de prince de Bassano passait à la branche des Recanelli-Giustiniani de Gênes.

Curieux le destin du fidéicommis établi en 1631 par le premier marquis Vincenzo Giustiniani, qui réservait une partie de sa fortune "afin qu’avec le temps elle aille continuellement en croissant et en s’améliorant pour le plus grand honneur et l’avantage de la Famille Giustiniani". Les querelles à son sujet ont occupé depuis le XVIIe siècle les tribunaux pontificaux, ceux du royaume d'Italie et pour finir de la république, qui ont validé en 1958 288 descendants répartis en 12 lignées parmi les requérants, sans compter que la plupart des héritiers légitimes ne sont pas allés ester en justice, ignorant complètement descendre de la prestigieuse famille.

Il est bon aussi de souligner que les Giustiniani, comme participants au gouvernement de Gênes, avaient, comme les autres familles notables, la seule qualité de "Nobilis civis januensis" qui distinguait du peuple ceux qui participaient à la chose publique et qui n’admettait pas d’autres titres de dignité féodale tel que nous les connaissons traditionnellement (barons, ducs, marquis, etc.). L’enregistrement d’un individu au "Livre d'or" de la noblesse de l'ancienne république de Gênes, auquel était attaché le titre de "magnifique" ou, indifféremment, d’"excellentissime" ou d’"illustrissime", constituait la reconnaissance que la famille de l’élu avait rejoint élite sociale, pouvoir politique, cens et patrimoine, propres à en sanctionner l'appartenance au patriciat génois, unique et vrai détenteur de l'État et du gouvernement de la chose publique.

Au-delà de la valeur symbolique, il serait peut-être plus soutenable, mais encore plus curieux, que le titre de "Prince de Chio" revienne à tous les descendants qui puissent se prouver tels, des treize Maonesi qui le 6 juin 1363 le reçurent les premiers de l'empereur byzantin Jean V Paléologue (Nicolo de Caneto de Lavagna, Giovanni Campit, Francesco Arangio, Nicolo de San Teodoro, Gabriele Adorno, Paola Banca, Tommaso Longo, Andriolo Campi, Raffaello de Forneto, Luchino Negro, Pietro Oliverio et Francesco Garibaldi et Pietro de San Teodoro). Ce titre reviendrait à tous ceux qui participèrent au gouvernement de Chio, ce qui revient à dire à tous les Maonesi ; c’est tellement vrai qu’ils pouvaient, cas vraiment rare sinon unique, le transmettre à d’autres, qui n'étaient même pas leurs parents, pourvu qu’ils aient participé au gouvernement de Chio, grâce à la nature même de "société par actions" de la Maona. Il serait impossible de concevoir une société commerciale qui amènerait aussi avec elle, au-delà de ses biens et services, des titres de noblesse ! Mais ce n’est pas pour autant qu’on peut revenir sur les droits acquis, étant posé que "les questions relatives aux titres de noblesse doivent être considérées et décidées à la mesure de ce qui aurait été, si la féodalité vraie et réelle n'avait jamais cessé d'exister" (Cour d'appel de Naples du 9 février 1903-Marulli- Sezza.

Les armes des Giustiniani de Chio sont : "de gueules à la forteresse hexagonale d'argent surmontée de trois tours du même, celle du milieu plus élevée, crénelée « à la guelfe », maçonnée, ouverte et fenestrée de sable; avec le chef d'or chargé de l’aigle couronné de sable regardant à dextre".

En 1413 l'empereur Sigismond avait ajouté au blason l'aigle noir impérial à une seule tête tournée vers la droite couronné, dans un champ d'or. Encore aujourd'hui, ces armes sont visibles sur les palais en ruines de Chio et dans le quartier des Giustiniani à Gênes.

La devise des Giustiniani de Chio était "Si je puis suprema requiro"

9. QUELQUES RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET SOURCES CITÉES 

Pour un guide en stile du grand-tour du XVII siecle, avec une vision de l'ile de Chio avant du treblement de terre du XIX siecle: L'ile de Chio par M. le docteur M. Testevuide 1877

Pour une bibliographie plus complète nous conseillons les textes signalés par Roberto S. Lopez dans "Histoire des colonies Génoises dans le Levant" (Marietti édition) et le site internet de l'auteur : www.giustiniani.info

Qu'est-ce qui peut rapprocher deux communes d'Europe aussi différentes et éloignées que GREVENA (préfecture grecque de Macédoine) et PLOUHINEC (bourg français de Bretagne) ?
Cyrille JUSTINIANY, Archevêque de GREVENA


Un video-clip sur le Giustiniani conçu construit et installé par P.Papacosta.
diffusion de Giustiniani en France


Il est sortie un documentaire sur la famille Giustiniani par d'André Waksman, une coproduction France 3 Corse / Vision internationale Corsica.
On va nous transporter dans le temps et dans l'espace. Du XIV ème à nos jours, nous allons traverser la Méditerranée sur les traces d'une famille : les Giustiniani. Cette histoire commence au XIVe siècle à Gènes. C'est à la fois une recherche des racines familiales et… les débuts de capitalisme à l'époque médiévale. A la recherche de cette identité nous allons découvrir la Maona des Giustiniani, fondée en 1346 pour l 'exploitation des richesses de l'île grecque de Chios. Cette Maona, association de familles puissantes, n'est rien d'autre que l'ancêtre de nos sociétés par actions. Les Giustiniani vont se disperser dans toute la Méditerranée et jouer un grand rôle dans l'histoire de la Corse… Qui sommes-nous, d'où venons nous ? Ce sont d'éternelles questions qu'on transmet de génération en génération. Nous allons être guidés dans cette enquête autour d'une famille remarquable par Fanny Giustiniani, d'Arbellara, et Enrico Giustiniani, de Rome et des historiens notamment Lercari de Gènes. Un documentaire d'André Waksman, une coproduction France 3 Corse / Vision internationale Corsica Pour vision cliker sur le lien ci dessous
"I Giustiniani, une saga méditerranéenne" (100508)

film giustiniani


enrico.giustiniani@tiscali.it


Pour un guide en stile du grand-tour du XVII siecle, avec une vision de l'ile de Chio avant du treblement de terre du XIX siecle: L'ile de Chio par M. le docteur M. Testevuide 1877


la tua foto Giustiniani – sito in Italiano
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"Les Cahiers du Bosphore" ("Les éditions ISIS Istanbul") par Rinaldo Marmara su "Chio - Le Tremblement de Terre de 1881 d’après les rapports de l’époque &Index des registres des baptêmes de l’Eglise catholique 1707-1727 et 1814-1988".
Casa editrice ISIS - Istambul


CHIO terremoto



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